Désinvolte et un brin snob mais aussi adepte du selfie, la tribu cool de Brian Calvin défile au Consortium de Dijon.
Le cool, notion vide-poche récemment réinvestie par notre collègue Jean-Marie Durand dans son livre Le Cool dans nos veines – Histoire d’une sensibilité, sied à merveille aux personnages du peintre américain Brian Calvin. Non pas que ces derniers brandissent l’attirail du parfait branché – chez les filles et les (rares) garçons de cette tribu homogène, aucun signe ostentatoire ni aucun marqueur culturel ne vient circonscrire un territoire social. C’est au contraire dans une forme de détachement très assumé qu’ils cultivent leur désinvolture… forcément cool.
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Chez Brian Calvin, à qui Eric Troncy, fan de la première heure, déroule le tapis rouge dans la grande salle du Consortium, on fume clope sur clope, on fait le signe de la paix, on noie son chagrin ou son ennui dans la bière et on fait les yeux pas vraiment doux au visiteur qui aurait l’indécence de troubler cet entre-soi.
Les yeux agrandis, naïfs, cartoonesques, sont chez Calvin une véritable marque de fabrique. Ils interpellent nécessairement le spectateur, même s’il y a du vide dans ces yeux-là, qui nous regardent sans nous voir. Si bien que l’on se demande tout à coup si ces portraits zoomés ne représenteraient pas plutôt des selfies. Où les modèles, par l’intermédiaire d’une perche, d’un reverse ou à la simple force de leur avant-bras, captureraient leur image en gros plan, “duck face” pour les uns, moue dédaigneuse pour les autres.
Miroir déformant
C’est en tout cas ce que suggère le texte qui accompagne l’exposition et se conclut ainsi : “Tandis que ses œuvres antérieures dressaient le portrait de la bizarrerie des relations fortuites entre les gens, ces scènes concises dépeignent une épidémie d’égocentrisme : le recours à l’objectivité des gros plans magnifie probablement les visages – et permet aussi de ne pas dévoiler l’âme des personnages.” Là-dessus, on n’est pas tout à fait d’accord d’ailleurs, tant leurs humeurs changeantes semblent palpables (et derrière elles celles du peintre), qui soufflent le chaud et le froid, la mélancolie joyeuse, et frôlent la schizophrénie.
Car les peintures de Calvin s’amusent souvent à se dédoubler, à s’étirer ou à se regarder dans un miroir déformant. A l’image de ces sœurs jumelles sur fond rose poudré, un petit soleil pâle en ligne de mire. Sur la toile de gauche, elles nous reluquent, nous narguent, avec leurs airs de ne pas y toucher malgré les larmes qui perlent déjà au coin des paupières. Sur l’image de droite, le portrait double semble avoir été aspiré par le haut, si bien que les deux sœurs ont le visage déformé et la mine bancale. Et c’est nous qui reprenons le dessus.
Impeccable accrochage
D’autres indices laissés au hasard (pas tout à fait) dans l’impeccable accrochage d’Eric Troncy laissent encore deviner que l’artiste se plaît à semer le trouble entre nous et ses personnages, en bref à s’amuser. C’est le cas par exemple de ce tout petit portrait déplié comme un test de Rorschach du plus crasseux d’entre les crasseux (mais pour la même raison tout aussi attachant) : Homer Simpson. Glissé mine de rien dans l’expo, il nous donne à voir un personnage ambivalent, odieux autant qu’adorable, et qui plus est représenté ici face à lui-même. Et nous met les yeux bien en face des trous de nos propres sentiments, ni tout à fait noirs, ni tout à fait blancs.
jusqu’au 27 septembre au Consortium de Dijon
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