Durant toute sa carrière, David Bowie a mêlé dans son flamboyant creuset de multiples références aux avant-gardes. Au-delà des relations tissées entre art et musique, il peut être aujourd’hui considéré, en avatar inversé d’Andy Warhol, comme l’une des plus grandes figures du pop art.
A l’annonce de la mort de David Bowie, nombreux ont été les hommages émanant du champ des arts plastiques. On ne s’en étonnera pas : les échanges ont été multiples et réciproques entre le créateur de Ziggy Stardust et les arts visuels.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Artiste total, performeur culte, iconophile averti, lui-même passé par une école d’art, Bowie s’est beaucoup servi dans l’histoire de l’art et chez les artistes contemporains. De Vasarely à Tony Oursler, qui réalisa l’étrange clip aux formes molles et aux yeux exorbités de Where Are We Now? en 2013.
De leurs côtés, les artistes lui renvoient volontiers l’ascenseur, qui se sont à leur tour beaucoup inspirés de ce “méta-artiste”, comme nous l’a écrit le vidéaste Tony Oursler au lendemain de la mort de Bowie. C’est le cas entre autres de l’Ecossais Jim Lambie, qui réalisa plusieurs collages aux motifs floraux à partir de la pochette de Space Oddity.
Tandis que Dominique Gonzalez-Foerster laisse entendre l’influence exercée par Bowie depuis son adolescence jusqu’à ses toutes récentes apparitions : “Les multiples transformations de David Bowie, son androgynie affirmée, son goût du costume et du maquillage, sa réflexion sur les genres musicaux et ses expérimentations anticipent un rapport à l’identité très actuel, inspiration totale, identité ouverte, futuriste, narrative, exubérante et visuelle, à l’opposé d’un programme figé dans un seul personnage.”
Il transvase la haute culture dans la pop
Mais on peut aussi aller au-delà de ces jeux d’échanges et d’influences réciproques pour envisager encore autrement le statut et la stature de David Bowie : il aura été au fond l’une des plus grandes figures du pop art. Très simplement : quand les artistes américains du pop art comme Warhol ou Roy Lichtenstein ont fait monter dans le grand genre de la peinture les motifs issus de la culture populaire (les comics, Elvis ou les soupes Campbell’s), David Bowie opéra tout au long de sa vie et de son œuvre une opération presque inverse – puisant abondamment dans toute l’histoire de l’art, et notamment dans les avant-gardes artistiques (Bauhaus, expressionnisme allemand, musique expérimentale, body art américain ou japonais des années 1960), il transvasa toute cette haute culture dans le flot de la pop (pop music et pop culture).
“A mes yeux, nous confirme l’artiste et musicien Christian Marclay, David Bowie était un artiste, pas seulement un performeur ou un musicien qui faisait de la grande pop. N’oublions pas qu’il est passé par une école d’art, comme beaucoup de musiciens de sa génération. Il avait une approche visuelle et intellectuelle de la musique tout en étant capable de composer des mélodies très fortes émotionnellement. Il a compris que l’art et la musique ne doivent pas être des champs séparés.”
Une sorte de complexe warholien
On peut même dire qu’à sa manière David Bowie aura incarné et réalisé le projet induit par l’idée même du pop art, lui-même héritier d’une modernité culturelle amorcée par Baudelaire. Qu’on se rapporte à la fameuse définition qu’en donne en 1957 l’artiste anglais Richard Hamilton (l’occasion de rappeler l’origine britannique du pop art) dans sa lettre “Pop art is” : “Le pop art est : populaire (conçu pour un grand public), éphémère (solution à court terme), consommable (facilement oublié), bon marché, fabriqué en série, jeune (destiné aux jeunes), spirituel, érotique, fantaisiste, glamour, lucratif.”
Il y avait d’ailleurs chez Bowie une sorte de complexe warholien, comme on parle chez d’autres du complexe d’Œdipe. Sans avoir vraiment réussi à fréquenter le sphinx peroxydé de la Factory, Bowie a beaucoup appris d’Andy Warhol, de ses jeux ambigus d’identité, de son androgynie morbide, de ses “Superstars”, de son rapport entre l’art et l’industrie.
“J’aimerais être une galerie”
On sait que Warhol fut insensible à la chanson-hommage que lui consacra Bowie dans son album Hunky Dory en 1971. Où d’une voix mi-androgyne, mi-chat écorché, il évoque la galerie vivante et le “cinéma permanent” de Warhol, l’écran argenté de la Factory et l’utilisation de ses créatures : “Like to be a gallery/Put you all inside my show” (“J’aimerais être une galerie, je vous mets tous à l’intérieur de mon exposition”).
C’est bien plus tard, en 1996, avec l’excellent biopic consacré à Basquiat par l’artiste Julian Schnabel, que Bowie trouvera l’occasion de rattraper cette rencontre manquée et de sublimer un peu son complexe warholien : le musicien y joue le rôle de Warhol, dont il adopte la perruque et la frigidité sociale avec un art poussé du mimétisme.
{"type":"Banniere-Basse"}