A l’Opéra Garnier, le chorégraphe invite les spectateurs à une promenade dans les espaces publics pour une célébration de la danse du XXe siècle.
En rebaptisant Musée de la danse le Centre chorégraphique national de Rennes dont il venait de récupérer la direction en 2009, Boris Charmatz avait déjà dans l’idée d’en faire un laboratoire singulier. Et de frotter la danse à l’idée d’exposition. 20 danseurs pour le XXe siècle sera le nom de code d’une commande passée par la bibliothèque des Champs Libres à Rennes.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Un dimanche ouvert à tous, six heures de propositions chorégraphiques et une vingtaine d’interprètes sont convoqués. “Une sorte de musée de la danse éphémère où l’espace muséal est le danseur lui-même. L’idée étant d’avoir moins de choses à accrocher aux murs qu’à transporter avec soi”, explique Boris Charmatz.
Plus de 6 000 visiteurs vont se prendre au jeu, passant d’un solo à un autre, parcourant une brève histoire de la danse. Ce qui n’était qu’un essai sera transformé par la suite de New York à Berlin ou Londres.
Investir tout l’espace du Palais Garnier
Cet automne, c’est à Paris que 20 danseurs pour le XXe siècle fait étape. Au Palais Garnier plus précisément, haut lieu du style français de la danse classique. Paradoxe qui ne manque pas d’enchanter Charmatz, autrefois élève dans ses murs avant de rejoindre le bâtiment flambant neuf de l’école de danse de l’Opéra de Paris à Nanterre. Au MoMA de New York en 2013, le Musée de la danse, outre des versions spécifiques de Flip Book et Levée des conflits, avait investi quantité d’espaces.
“Donner 20 danseurs pour le XXe siècle faisait sens dans cet environnement de chefs-d’œuvre. Nous avions la volonté d’apporter notre collection d’art vivant avec une part d’incertitude.” Aux yeux du chorégraphe, un Picasso n’est pas tant altéré par le temps qu’une danse disparue. Après la Tate Modern de Londres, c’est donc avec l’Opéra de Paris que le Musée de la danse, “micro institution”, entre en dialogue.
“Benjamin Millepied, le nouveau directeur de la danse, arrive des Etats-Unis, il a une autre manière de faire. Notre échange a été fait de discussions, de balades dans les lieux de Garnier.” Pour Boris Charmatz, il n’était pas question de créer sur la grande scène pour le ballet, mais de s’interroger sur ce répertoire maison et ceux qui le font vivre.
Une ouverture sur la culture du XXe siècle
“Je reviens à l’Opéra à l’âge, 42 ans, où on y prend sa retraite !” Surtout, Boris Charmatz veut distiller un peu de sa curiosité intellectuelle, de son ouverture sur la culture du XXe siècle. Il garde en mémoire les cours d’histoire de la danse à l’Ecole du ballet où le contemporain se résumait pour certains professeurs à “des danseurs qui s’embrassent en slip dans les couloirs ou une création sur une musique de chasse d’eau”. L’esprit a changé fort heureusement.
Face à Charmatz, deux dizaines de danseurs (vingt-cinq en fait, pour assurer les remplacements) vont occuper les espaces publics de l’Opéra. Foyer, rotonde, escalier, tout fera sens. “On travaille sur le répertoire des danseurs, de l’Opéra et du Musée de la danse. Les actionnistes viennois autant que Vito Acconci ont leur place dans ce siècle du mouvement. Sans parler du krump ou du voguing. A mes yeux, Isadora Duncan, Trisha Brown ou La Fièvre du samedi soir traversent cette époque.”
En suivant Boris Charmatz en répétition, on aura ainsi pu voir un soliste (Samuel Murez) donner vie à un montage de dessins animés de Tex Avery ou un sujet, Caroline Bance, interpréter une des furies de l’Orphée et Eurydice de Pina Bausch. Cette dernière est souvent revenue dans les propositions des danseurs (ainsi que le solo d’Appartement de Mats Ek) alors que Trisha Brown que chérit Boris Charmatz recueillait moins de faveur.
“Ne pas se laisser piéger par la contemporanéité”
“J’ai été surpris qu’une personne de la troupe soit désireuse de danser La Sorcière de Mary Wigman. Il y a une vraie question qui se pose ici aussi : celle de la mémoire. J’aime beaucoup les matériaux du ballet, ces figures par exemple. D’un autre côté, avec le Musée de la danse, nous essayons de trouver des formes, de faire qu’on ne soit pas piégé par une contemporanéité que l’on rechercherait désespérément.”
“Dans les années 80, il était de bon ton de penser que l’amnésie était nécessaire pour créer. J’ai eu la chance d’arriver une décennie plus tard, de pouvoir danser avec Steve Paxton qui avait une trentaine d’années de plus que moi.”
Boris Charmatz parle aussi de faire ainsi des courts-circuits de l’histoire. Et avec cette “exposition” où le public pourra déambuler d’un solo à un autre, il entend mettre en lumière l’interprète. Comme un pied de nez à l’histoire de l’institution parisienne, Yann Saïz a proposé de reprendre le solo créé par Jérôme Bel pour Véronique Doisneau, une danseuse de l’Opéra.
D’entendre ainsi les premières phrases de ce monologue dansé – sans qu’une virgule soit changée – dans la rotonde des abonnés ne manquera pas de procurer des frissons aux habitués de la salle. Bel, en braquant son “projecteur” sur une anonyme de la compagnie, ne faisait que préfigurer 20 danseurs pour le XXe siècle. “Du Musée de la danse à ce projet avec le Ballet de l’Opéra de Paris, il ne s’agit pas d’épuiser la notion de répertoire mais de faire un pas de côté.”
20 danseurs pour le XXe siècle conception Boris Charmatz et Musée de la danse, avec le Ballet de l’Opéra de Paris, jusqu’au 11 octobre au Palais Garnier, Paris IXe, operadeparis.fr
{"type":"Banniere-Basse"}