A 40 ans, le Centre Pompidou reste le plus beau musée d’art moderne et contemporain au monde, dans un paysage en pleine reconfiguration entre institutions et fondations privées. Emaillée de multiples polémiques, 2017 aura également été marquée par le retour du spectre de la censure.
Avec la célébration sans grande pompe de son quarantième anniversaire, le Centre Pompidou a rappelé en exhumant ses collections partout en France, jusqu’à la magistrale exposition lilloise Performance, qu’il n’y a pas de plus beau musée d’art moderne et contemporain au monde. Il n’y aurait que le MoMA pour lui disputer ce statut, comme le démontre le tour de force de la Fondation Louis-Vuitton accueillant les collections new-yorkaises dans ses murs parisiens.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Par-delà l’effet de miroir entre des fonds prestigieux, le face-à-face de Beaubourg et du MoMA chez Vuitton mit crûment en lumière la structuration d’un paysage de l’art de plus en plus aspiré par l’offre attractive des fondations privées (Beyeler à Bâle, Prada à Milan, Luma à Arles, le Fonds Hélène & Edouard Leclerc pour la culture à Landerneau, la Maison Rouge à Paris – qui fermera ses portes d’ici un an).
En développement continu (ouvriront bientôt à Paris, la Fondation Pinault et Lafayette Anticipations, ainsi que le centre d’art contemporain de la Fondation Carmignac à Porquerolles), ces fondations pourraient occulter le travail des institutions publiques si celles-ci ne se donnaient pas elles-mêmes les moyens d’une politique artistique unique, à l’image du Centre Pompidou, dont le président Serge Lasvignes affirmait en début d’année qu’il était plus qu’un musée : un “hyper lieu”, ouvert à de multiples formes d’expérience, à des manifestations culturelles élargies (une école intégrée, un Mooc, un festival des littératures hors du livre, Extra !, des débats permanents, de “Cosmopolis” à “Après”…).
Il ne fallait donc pas indexer les gestes de célébration d’une forme de maturité (40 ans pour Beaubourg, 30 ans pour le musée d’Art moderne de Saint-Etienne, 25 ans pour le réseau national des centres d’art contemporain…), de renouvellement des espaces (à l’image du nouveau et sublime musée d’Arts de Nantes) ou de reconfiguration des collections permanentes (musée d’Orsay) à une simple opération défensive et nostalgique des institutions publiques face au rouleau compresseur du marché de l’art sous stupéfiants monétaires. Le rôle et la fonction, plus expérimentale et civique, des institutions publiques, pèsent encore dans le paysage de l’art.
Studio Venezia de Xavier Veilhan : l’un des gestes les plus généreux de l’année
Affecté par les puissances d’argent à courte vue, ce dernier reste surtout animé par des conservateurs, des directeurs de centres d’art et d’écoles, soucieux d’accompagner au présent le travail des artistes, dans un attachement à la vision du monde qu’ils défendent plus qu’à ce qu’ils valent de visu. Comme le prouva Xavier Douroux, directeur du Consortium à Dijon, disparu cette année.
Le splendide projet de Xavier Veilhan, Studio Venezia, accueillant durant sept mois, au sein du pavillon français de la Biennale de Venise transformé en studio, des musiciens inspirés par l’exercice de la performance (enregistrer devant un public), fut, de ce point de vue, l’un des gestes les plus généreux de l’année, comme une manière d’associer l’art à un rassemblement des corps happés par le mystère de la création.
L’an passé, nous célébrions l’élargissement du paysage artistique, porté par un esprit d’auto-organisation. Certes, le maillage des project-spaces a continué de se consolider et l’esprit libertaire s’est approfondi. Mais 2017 aura surtout été déchirée par de violentes polémiques, dont l’onde de choc venait rappeler qu’il restait encore des statues à déboulonner.
La dénonciation des politiques identitaires au cœur de nombreuses expos
Secouée par les questions d’appropriation, d’oppression, de dominants et de subalternes, l’année se transformait en terrain miné où chaque nouvelle exposition déterrait le refoulé des politiques identitaires. Et déchaînait, avec les accusations d’appropriation culturelle, les spectres de la censure – qu’elle soit réelle et conduise au décrochage des œuvres, ou musèle à l’avance tout embryon de débat critique.
A New York, la Biennale du Whitney exposait le tableau Open Casket de la peintre (blanche) Dana Schutz, peint d’après la photographie de presse du cadavre d’Emmett Till, adolescent afro-américan mis à mort par un agresseur blanc dans les années 1950. L’artiste Hanna Black l’accusait alors de “transformer la douleur du peuple noir en source de profit et de divertissement”. La polémique devient virale.
Pas de répit : à la Biennale de Venise, les mêmes crispations refirent surface. Malaise devant la tribu amérindienne dont Ernesto Neto fait la matière de son œuvre ; augmentation du malaise à la vue des migrants de l’atelier d’Olafur Eliasson. De son côté, la Documenta, scindée en deux parties, à Athènes et Kassel, éveillait les soupçons de l’impérialisme culturel du Nord sur les Suds.
Dans l’écosystème artistique hexagonal, ce sera cependant le genre, plus que l’ethnicité, qui nourrira la révolte contre les relations de pouvoir iniques. A l’automne, Women House à la Monnaie de Paris coïncide avec la campagne #NotSurprised contre le harcèlement sexuel dans le monde de l’art. Alors que disparaissait fin octobre l’historienne de l’art Linda Nochlin, auteure en 1971 d’un essai révolutionnaire sur la place des femmes dans l’histoire de l’art, ses mots n’auront jamais résonné avec autant de force.
Pour comprendre pourquoi il n’y a pas eu de grandes femmes artistes, écrivait-elle, il faut d’abord examiner la superstructure du monde de l’art, ses écoles et ses institutions dominées par un modèle de patriarchie et d’entre-soi. A la mesure de la société dans son ensemble, le paysage de l’art reste, en dépit de progrès réels, structuré par ces effets de domination. 2017 aura eu le mérite d’en éclairer la réalité masquée.
TOP 10 DES CRITIQUES
PAR JEAN-MARIE DURAND
Le Procès de la fiction par Le peuple qui manque, Nuit blanche
Sonic Fountain par Doug Aitken, Biennale de Lyon
De l’air, de la lumière et du temps par Susanna Fritscher, musée d’Arts de Nantes
Faust par Anne Imhof, Biennale de Venise
Michel Journiac, Transpalette et Maison européenne de la photographie (MEP)
Studio Venezia par Xavier Veilhan, Biennale de Venise
David Hockney Centre Pompidou
Japan-ness et Japanorama Centre Pompidou Metz
Wolfgang Tillmans, Fondation Beyeler
74 803 jours et Voyage d’hiver par Hicham Berrada, abbaye de Maubuisson et parc du château de Versailles (exposition collective)
PAR INGRID LUQUET-GAD
Video ergo sum par Peter Campus, Jeu de Paume
Christopher Kulendran Thomas New Galerie
TV 70 : Francesco Vezzoli guarda la Rai par Francesco Vezzoli, Fondation Prada
Stretch par Alexandra Bircken, Credac
What’s Up Doc? New Galerie
Michel Majerus, galerie Neugerriemschneider
Medusa – Bijoux et tabous musée d’Art moderne de la Ville de Paris
$ + € par David Rappeneau, galerie Crèvecœur, Paris
Honey, I Rearranged the Collection MRAC
The Square par Ruben Ostlund
{"type":"Banniere-Basse"}