L’emprise de l’homme a fait basculer la Terre dans une nouvelle ère géologique : l’Anthropocène. Une exposition collective à Toulouse imagine des traductions plastiques à ce bouleversement véritablement cosmique.
C’est un thème passionnant dont ont débattu les invités d’un colloque aux Abattoirs de Toulouse, du 10 au 12 octobre. Celui d’une construction mentale permettant de penser un “monument à l’anthropocène”. Rafraîchissons-nous la mémoire. Voilà quelques décennies – d’aucuns diront des siècles, faisant commencer l’affaire tantôt avec la révolution industrielle, tantôt avec la Seconde Guerre mondiale – que nous sommes entrés dans une nouvelle ère géologique dominée par l’action humaine : l’anthropocène. “Un point de basculement a été atteint, a résumé l’historien Christophe Bonneuil, coauteur en 2013 du livre L’Evénement anthropocène (Seuil). Les humains sont devenus une force tellurique qui change la face de la Terre autant que les éruptions volcaniques.”
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C’est ce que démontre, schémas et graphiques à l’appui, la première salle de l’exposition conçue par les étudiants du Speap, programme d’expérimentation en arts et politique, animé par le philosophe Bruno Latour à Sciences Po. Dans cette petite salle, on voit par exemple qu’à chaque tournant géologique est planté un petit clou doré indiquant la jonction des strates. Ces « marque-pages permanents dans le livre de pierre de la nature », pour reprendre la jolie formule de Bronislaw Szerszynski qui a organisé le colloque avec Bruno Latour, sont parfois accompagnés d’un monument ou d’une plaque commémorative.
“Un monument pour se souvenir de notre futur”
D’où l’idée d’élever un monument à l’anthropocène. Et c’est là que les choses se corsent, la question suscitant autant de réponses, voire de refus, que d’interlocuteurs. Celui par exemple de l’artiste et théoricien Fabien Giraud, qui présente dans l’exposition une petite photographie sous verre plombé réalisée à Fukushima et qui a fait une intervention dédiée au « principe de quarantaine », démontrant l’impasse qu’il y aurait à produire un monument qui reposerait sur un écart impossible, célébrant de notre vivant ce monde non humain que l’anthropocène préfigure. « Rarement le fossile et l’organisme dorment ensemble », a-t-il expliqué avant d’ajouter : « C’est un peu comme si, lors de la Première Guerre mondiale, nous avions érigé un monument aux morts au milieu des tranchées. »
Par un drôle d’effet de rétroversion, la chercheuse Frédérique Ait Touati a imaginé « un monument pour se souvenir de notre futur ». « Notre monument doit être un avertissement », estime pour sa part l’architecte Pierre Chabard qui a enterré pour l’occasion le modèle de la cabane ou du refuge comme symboles du retrait du monde. « Avec l’anthropocène, il faut renoncer à l’idée de nature sauvage puisque nous sommes aujourd’hui face à une forme d’anthropisation du monde. »
C’est une cartographie, une collecte des preuves de cette mutation en cours qu’a proposée l’Anthropocene Observatory, animé par l’artiste Armin Linke et les architectes et urbanistes John Palmesino et Ann-Sofi Rönnskog. Reste les trente artistes qui ont formulé une réponse à cette question du monument. Des réponses inégales, parfois littérales ou didactiques, mais qui ont le mérite de formuler une traduction plastique à des notions philosophiques. On retiendra cette montgolfière composée de centaines de sacs plastique cousus ensemble par une armée de petites mains et déposée dans le grand hall des Abattoirs par l’artiste allemand Tomás Saraceno. Une œuvre collective en réponse à un problème universel.
Ou encore ce carottage anthropocénique de Mark Dion composé de granit, de basalte et de béton – chaque couche représentant une coupe symbolique dans la croûte terrestre –, ou la sculpture du duo Lisa Autogena & Joshua Portway. Une spirale de fourmis mortes qui fait écho à un phénomène observé dans certaines fourmilières : cette danse jusqu’à épuisement dont on dit qu’elle est liée à une forme de dérèglement. Un anti-monument.
Anthropocène Monument jusqu’au 4 janvier aux Abattoirs, Toulouse, lesabattoirs.org
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