La Villa Médicis a désormais son homologue américaine, baptisée Villa Albertine. Créée en 2021, elle a l’originalité de ne pas avoir de murs, mais de proposer des résidences créatives itinérantes.
En novembre 2021, le Français Paul Maheke performait Taboo Durag à la Renaissance Society, à Chicago. Un solo chorégraphique incantatoire tramé d’une bande-son magnétique, pour une pièce maintenue sur le fil tendu entre vulnérabilité et résilience. L’invitation fournissait à l’artiste l’occasion de s’adresser à une communauté afro-américaine porteuse d’autres mémoires corporelles encore que les afro-descendant·es européen·nes. Elle naissait également d’une heureuse concordance : en 2020, Myriam Ben Salah, curatrice passée par le Palais de Tokyo à Paris, prenait la direction de l’exigeant musée indépendant.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Pour la plupart des artistes, des émergent·es aux plus réputé·es, les invitations dépendent souvent d’affinités électives – c’est-à-dire aléatoires. Actuellement, Paul Maheke se prépare à repartir en février. Direction Chicago encore, à la faveur d’une occasion extensible à tous·tes les créateur·rices français·es. “Axelle Moleur, attachée de coopération et d’action culturelle à Chicago [et directrice de la Villa Albertine à Chicago], était venue me voir performer. C’est elle qui m’a parlé de la résidence.”
Des antennes américaines
La résidence d’artistes en question, c’est la Villa Albertine. Soit la petite dernière d’une tradition diplomatique empesée par le marbre cérémoniel. À Rome, il y a la Villa Médicis, inaugurée en 1803, telle qu’issue d’un fait du prince, celui de Louis XIV et Colbert, fondant en 1666 l’Académie de France à Rome. À Madrid, la Casa de Velázquez lui succède dès 1920. Et c’est à Kyoto qu’est sise la Villa Kujoyama, jusqu’alors la plus récente et pourtant déjà trentenaire.
“Certains se demandaient pourquoi la France n’avait pas encore ouvert une grande résidence aux États-Unis, au regard de l’importance de ce pays sur la scène culturelle globale, et pour les créateurs français en particulier, concède Gaëtan Bruel, directeur de la Villa Albertine depuis septembre 2021. Si le besoin était évident, la solution ne l’était pas. Les États-Unis sont un pays immense et très divers, au point qu’aucune ville, pas même New York, ne peut résumer ce qui fait l’intérêt culturel de ce pays.”
Cela donne un format nouveau : “Doté du don d’ubiquité, pour être présent partout, avec aussi un accompagnement personnalisé, pour faire du sur-mesure à chaque endroit, et donner aux résidences d’artistes cette flexibilité à laquelle nous nous sommes habitués dans nos modes de vie”, détaille Gaëtan Bruel. En clair, la Villa Albertine est une villa sans villa : elle ne possède pas d’adresse attitrée, mais combine plusieurs manières de loger les résident·es – certains lieux appartiennent à l’ambassade, d’autres à des collectionneur·ses ou des “ami·es” de la Villa, d’autres encore sont loués selon les besoins.
“Aucune ville, pas même New York, ne peut résumer ce qui fait l’intérêt culturel de ce pays” Gaëtan Bruel, directeur de la Villa Albertine
“Nous avons découvert que le sur-mesure ne coûtait pas plus cher qu’une approche plus standard, car nous n’engageons que les dépenses qui sont utiles au résident ! Une résidence chez nous a un coût moyen de 25 000 euros, couvrant les transports, le logement, l’assurance ou des per diem [l’argent qui est donné aux artistes, intervenant·es, critiques, etc. pour subvenir à leurs besoins matériels par jour] de 3 000 dollars par mois”, explique Gaëtan Bruel. Elle rayonne à partir de dix villes : Los Angeles, Atlanta, Boston, Chicago, Houston, La Nouvelle-Orléans, Miami, New York, San Francisco et Washington DC.
Annabelle Ténèze, elle, a fait partie de la “toute première fournée, en période Covid”. Si la résidence balaie tous les champs de la création, de l’architecture aux arts visuels en passant par le cinéma, la musique ou le spectacle vivant, aussi bien qu’aux chercheur·ses ou écrivain·es, l’historienne de l’art s’envolait pour sa part en qualité de directrice des Abattoirs, Musée – Frac Occitanie Toulouse.
“C’était l’occasion de rencontrer des interlocuteurs et interlocutrices non seulement dans les musées et les centres d’art, mais aussi ceux et celles qui travaillent avec l’art contemporain depuis des contextes très différents, des collections historiques aux musées de société, en passant par les initiatives de quartier, pour refléter les enjeux d’aujourd’hui : le genre, l’inclusion ou l’identité sociale et collective.”
De la ville aux musées
De Washington à Cleveland, de Chicago à Detroit, et plus largement au sein de la Rust Belt (le Nord-Est), Annabelle Ténèze aura ainsi, à raison de “trois, quatre rendez-vous par jour durant deux sessions de quinze jours”, rencontré des acteurs et actrices de musées de société (à Washington, musée national Smithsonian d’Histoire et de Culture afro-américaines, porté par les musées nationaux de la Smithsonian Institution, à l’instar du projet de musée des Latino-Américains ; ou à Dearborn, le seul exemple de Musée national arabo-américain) ou des initiatives associatives (à Chicago, l’Experimental Station, mêlant résidences, éducation et aide alimentaire).
“Les réflexions à mener sur l’implication des publics à une période de restructuration des collections se posent avec des enjeux comparables. Cela donne par exemple, aux États-Unis, tout un nombre de services des publics, comme l’outreach [des progammes de proximité], qui n’existe pas vraiment chez nous, et qui réfléchit à comment interagir avec les communautés autour du musée. De l’extérieur [des institutions], les grands débats sont plus faciles à percevoir que leurs applications concrètes.”
Et si les histoires, communautés et publics ne sont pas transposables, il n’en reste pas moins pour elle que le parallèle est porteur : “Trop longtemps, la petite et la grande histoires ont été dissociées. Or chaque territoire et population développent quelque chose de différent par rapport à ce qu’ils traversent, qui peut avoir valeur universelle.”
“Un autre objectif du projet est de rencontrer Surya Bonaly à Las Vegas” Paul Maheke, artiste
De son côté, Paul Maheke participera dès février à la promotion 2023 aux côtés de quelque quatre-vingts résident·es – dont Raphaël Barontini, Myriam Mihindou, Nsdos, Leïla Slimani, Smith & Marie Ndiaye, Christelle Oyiri (DJ sous le nom de Crystallmess) ou encore Noé Soulier. Á la clé se trouve la préparation d’un film, A Darkling Ring of Unresolved Shadows (“un anneau sombre d’ombres non résolues”).
“Tout de suite, j’ai eu l’idée de postuler avec un projet qui s’intéresserait à l’idée de fugitivité, de Blackness et de résistance par la glisse, en lien avec mon passé de jeune patineur artistique. En creusant, j’y ai trouvé de très fortes résonances avec les luttes du mouvement pour les droits civiques.” S’il part assuré de l’appui logistique de la Villa, la suite s’accordera aux aléas du terrain : “Je suis en lien avec deux figures de la rink culture [liée à la piste] qui vont être mes principaux points d’entrée dans la scène du roller disco à Chicago. Et puis, un autre objectif du projet est de rencontrer Surya Bonaly à Las Vegas, là où elle entraîne les futurs champions et championnes du patinage américain.” Et pour le futur proche, l’appel 2024 vient tout juste d’être clos.
{"type":"Banniere-Basse"}