L’artiste africaine-américaine Betye Saar, née en 1926, figure clé de la scène artistique de Los Angeles et du Black Arts Movement, est présentée pour la première fois en France. Ensorcelantes, ses installations sont une invitation à se faire fugitif·ves.
Chez Betye Saar, tout est affaire de souplesse. Celle-ci n’est pas une fluidité post-moderne : certain·es n’ont pas ce luxe. Née en 1926 à Los Angeles, l’artiste aura été de toutes les luttes, jusqu’à se tailler un nom comme une figure du Black Arts Movement.
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Mais si les institutions, et l’Europe en particulier, rattrapent sur le tard une trajectoire pourtant stellaire, reconnue dès son vivant et néanmoins peu montrée en solo, sa première exposition en France, Serious Moonlight, n’aurait pu se contenter simplement d’un travail rétrospectif. Car chez elle, tout bouge, tout est en mouvement.
Des installations envoûtantes
Inscrit au cœur de sa pratique se trouve un principe de recombination perpétuelle. Sous l’égide de la curatrice invitée Stephanie Seidel, qui dédie sa thèse à l’artiste, le Frac Lorraine présente ses installations. Celles qui, dès les années 1970, étendent les minutieux assemblages nés de la découverte du surréaliste Joseph Cornell jusqu’aux confins de l’espace tout entier.
Cela serait, en quelque sorte, un stratagème : avec House of Fortune (1988), environnements New Age déclinés en sequins, bannières et symboles syncrétiques, table de divination y comprise, l’appréhension est d’abord odorante – de ces perceptions incarnées que l’on ne contrôle pas, qui frappent en plein, autrement plus insidieuses que celles de la pure raison.
Partout, le corps est absent. Et plus précisément un corps collectif, celui des sujets Noir·es, trop souvent réifié par leur représentation même, tout comme ils et elles furent autrefois entassé·es dans les bateaux esclavagistes (Gliding into Midnight, 2019). Ici, l’exposition ouvre un refuge : un droit à la disparition.
La fugitivité, une arme stratégique
Choisir d’apparaître ou non. Dans la dernière salle, l’installation magistrale Shadow Songs (1985-1988) est une leçon de désidentification. L’artiste a réalisé, au fil de ses expositions, de ses voyages ou dans son studio un ensemble de peintures sur soie à partir des photographies qu’elle prenait de sa silhouette : ombres portées, où la couleur de peau d’emblée s’indistingue.
Souplesse fugitive : on pense, attestant de la portée intensément contemporaine de la démarche, et de l’œuvre dans son entièreté, à la question qui aujourd’hui se pose depuis un autre bord. Soit le caractère systémique de procédés racistes dans les technologies d’identification, de la reconnaissance faciale aux outils de police prédictive – ce que la chercheuse Ruha Benjamin nomme, dans son livre Race After Technology (2019), le “New Jim Code”.
Betye Saar. Serious Moonlight, jusqu’au 22 janvier au 49 Nord 6 Est Frac Lorraine à Metz.
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