Montée avec brio par Stanislas Nordey, la quête d’un fils disparu dans les remous terroristes de la capitale allemande exalte la profondeur du regard porté par l’autrice sur notre monde en crise.
Répondant à une commande d’écriture de Stanislas Nordey avec Berlin mon garçon, Marie NDiaye se souvient : “Je lui ai demandé si un sujet l’intéressait particulièrement. Il m’a donné comme point de départ le mot ‘terrorisme’.” Ainsi est née une pièce qui nous entraîne de Chinon à Berlin, où une mère enquête sur la disparition d’un fils ayant coupé les liens avec sa famille. Cet évanouissement reste une énigme pour ses proches, même s’il donne à tous·tes le sentiment qu’il a choisi le camp du pire après s’être radicalisé.
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Stanislas Nordey et Emmanuel Clolus, le scénographe, inscrivent le jeu dans une épure scénographique. On découvre Berlin dans le noir et blanc d’un reportage photographique, qui suit le parcours de Marina (Hélène Alexandridis) de son arrivée à l’aéroport jusqu’à une location bookée depuis la France dans Corbusierhaus, un bâtiment construit par Le Corbusier comme le double berlinois de la Cité radieuse de Marseille. Pour Marie NDiaye, le choix de la référence culturelle à ce monument du mouvement moderne n’a rien d’exotique ; elle connaît les lieux pour y avoir vécu durant les dix années qu’elle a passées à Berlin.
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Projetées sur un écran aux dimensions de la cage de scène, les images du bâtiment deviennent l’écrin graphique de l’action. La différence d’échelle propre à cette mise en présence des clichés géants et des comédien·nes donne l’impression qu’ils apparaissent comme des enluminures inscrites à la marge d’une pièce qu’on découvre alors comme on feuillette un livre d’art.
Stanislas Nordey nous amène à parcourir cette fiction sans rompre le lien avec la littérature qui en est la source. Une forme de distanciation qui s’accorde à merveille avec les incertitudes de la temporalité de l’écriture de Marie NDiaye, qui construit son récit en évitant le présent et en ayant recours à de drôles de dialogues où chacun·e évoque les pensées secrètes qui l’agitaient lors de leurs confrontations.
La recherche du fils flirte avec les mystères d’une histoire policière ; du trouble de la rencontre entre Marina et son logeur, Rüdiger (Claude Duparfait), en passant par un brouillage des pistes tenté par Lenny, le père (Laurent Sauvage), et Esther, la grand-mère (Annie Mercier), jusqu’aux confessions de la petite amie du disparu, Charlotte (Dea Liane), chacun·e est renvoyé·e à sa propre solitude dans le déploiement du chemin d’une thérapie qui ne dit pas son nom. On passe de la réalité à la fable avec ces mystérieux vols de choucas qui, la nuit venue, planent par centaines au-dessus de Corbusierhaus, et s’il faut produire un portrait de l’absent, on se retourne vers l’inquiétant Pinocchio des dessins animés, qui fait si peur à l’instant où il se transforme en âne. Tout concourt à nous bouleverser, tant l’approche poétique et cruelle de la question sociétale est revisitée pour le meilleur dans cet accord parfait qui réunit Marie NDiaye et Stanislas Nordey. Incontournable.
Berlin mon garçon de Marie NDiaye, mise en scène Stanislas Nordey, avec Hélène Alexandridis, Claude Duparfait, Dea Liane, Annie Mercier, Sophie Mihran et Laurent Sauvage. Jusqu’au 27 juin, Odéon-Théâtre de l’Europe, Paris
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