Un premier livre de Bartabas entièrement consacré à tous les chevaux qui l’accompagnent depuis la création de Zingaro.
Cent trente-trois, c’est le nombre de chevaux qui ont accompagné Bartabas à l’heure où il termine D’un cheval l’autre, un livre autobiographique écrit sous le signe de l’équidé à qui l’homme a dédié sa vie d’artiste. Sa vie tout court. Un livre sans la moindre illustration pour se représenter ceux à qui il dédie chaque chapitre et qui, pourtant, démarre dès le premier, intitulé “L’Origine du monde”, avec la description d’une image, celle du “petit cheval de la grotte Chauvet” : “Sans doute l’animal fut-il à l’origine de la prise de conscience par l’homme qu’il devenait un homme. En faisant surgir de la roche ce bestiaire saisissant, il découvre qu’il peut représenter son émotion, la penser et créer.”
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“Je suis Bartabas le Furieux, l’homme qui à cheval va mesurer le monde.”
Son parcours de vie, Bartabas l’énonce aussitôt après : “Si faire un pas vers eux fut pour moi un acte fondateur, les chevaux furent par la suite l’encre avec laquelle j’ai écrit mon histoire, celle des Zingaros. Une encre délébile, qui s’efface avec eux ; les aventures du théâtre ne sont-elles pas les premières à disparaître de la mémoire des hommes ? Restent nos sensations, plus prégnantes ; je les porte encore d’un cheval l’autre.”
C’est ainsi que nous devrons nous les représenter, esquissés à l’aide de mots et de sensations dont Bartabas se fait le passeur. Remontant le temps, on suit ses premiers pas et ses premières transhumances dans le sud de la France et en Espagne, ses tractations avec les maquignons pour acquérir ceux qui seront ses compagnons de vie et mettront au monde celui qui profère : “Je suis Bartabas le Furieux, l’homme qui à cheval va mesurer le monde.”
Pina Bausch, une nuit d’orage, debout au centre de l’écurie “entourée de tous les chiens de Zingaro couchés à ses pieds”
De Bartabas, on connaît les spectacles. Ce qu’il nous conte ici, c’est moins l’envers du décor que son soubassement, ce qui porte ses spectacles et les fait naître : cette longue approche sensible de l’animal qui passe par la reconnaissance du caractère de celui-ci. C’est un récit picaresque où le lien qui l’unit à chacun de ses chevaux vibre d’une passion totale, exclusive.
Le monde extérieur s’immisce entre les lignes quand il évoque “la dame de Wuppertal“, une nuit d’orage, debout au centre de l’écurie “entourée de tous les chiens de Zingaro couchés à ses pieds”, avant le tournage du film Mazeppa (qu’il réalise et sort en 1993), ou la création en sept jours d’Entr’aperçu au Théâtre du Châtelet où il dort avec ses chevaux et répète avec eux la nuit comme le jour.
Avec Bartabas, le langage technique se transmue en poésie – un résumé idéal de son art. Voir l’ouverture du chapitre “Volupté de la chute” qui laisse rêveur·euse et ouvre les vannes de l’imaginaire : “Il y a toutes sortes de chutes de cheval : le soleil, le panache, la culbute, le trébuchement, le retourné, la glissade.” C’est bien cela que nous transmet Bartabas au fil des pages, la découverte d’un univers foisonnant et complexe, dont il nous donne des clés de compréhension avant de nous confier in fine : “Les chevaux sont mes yeux pour regarder le monde.” C’est cette vision-là qui rend inutile toute illustration dans le livre. L’image mentale comme pure sensation.
D’un cheval l’autre de Bartabas (Gallimard), 320 p., 20 €
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