Sans égaler Picasso quant au nombre d’expositions, Alberto Giacometti reste l’artiste moderne le plus célébré aujourd’hui dans le monde. De New York (au Guggenheim) à Paris (à la Fondation Vuitton dans Au diapason du monde, à la rentrée au musée Maillol), l’œuvre du sculpteur circule, signe d’une popularité sans pareille.
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La directrice de la fondation Giacometti, Catherine Grenier, vient même de trouver, rue Victor-Schoelcher, dans le XIVe arrondissement de Paris, l’écrin parfait pour abriter ses traces. Avec son célèbre atelier reconstitué tel quel dans un magnifique pavillon d’artiste, l’Institut Giacometti, ouvert au public (sur réservation), poursuit ce travail de transmission d’une œuvre-clé de l’art moderne, notamment à travers des rapprochements avec d’autres artistes (Jean Genet cet été, Annette Messager l’automne prochain).
Une exploration fine de leurs correspondances secrètes
A la Fondation Beyeler de Bâle en ce moment, l’œuvre de Giacometti se confronte à une autre figure “monstre” de la peinture moderne : Francis Bacon. L’exposition Bacon-Giacometti, proposée par Catherine Grenier, Ulf Küster et Michael Peppiatt, met en scène pour la première fois un face-à-face, direct et frontal, évoquant tout ce qui, par-delà leurs pratiques distinctes, les rapproche dans le geste, l’intention et les obsessions.
Si le peintre anglais et le sculpteur suisse se sont côtoyés au début des années 1960 via une amie commune, Isabel Rawsthorne, personne n’avait encore exploré aussi finement les correspondances secrètes qui relient leurs œuvres : un même imaginaire inquiet, la volonté de se défaire de la tradition réaliste de la figuration sans l’abandonner pour autant à l’abstraction, l’intensité du travail compulsif, le goût de la cage pour y isoler leurs figures, le rapport fétichiste au chaos de l’atelier…
Le parcours de l’exposition, structuré en neuf salles thématiques, met en scène cet ethos artistique affinitaire, comme si un dialogue secret se nouait sous nos yeux. Ce rapprochement tient autant d’une mise en miroir que d’une mise en mouvement : un geste commun indexé à la volonté de dynamiter la tradition de la représentation.
Entre le silence et l’incommunicabilité qui se dégagent des sculptures de Giacometti, et les cris et la tension des chairs qui vibrent chez Bacon, c’est une même “affirmation de la présence du corps” qui s’exprime chez les deux, estime Catherine Grenier. “Peu d’artistes ont comme eux réduit à ce point les sujets et thèmes de leur création, au point d’en devenir obsessionnels. La figure humaine – corps, têtes, fragments –, inlassablement explorée, est le point nodal à partir duquel toute leur œuvre s’articule”, explique la curatrice.
“Le réalisme, c’est de la foutaise”
Dans toutes leurs œuvres majeures réunies à la Fondation Beyeler – La Boule suspendue, Le Nez, La Grande Tête mince… de Giacometti ; Selfportrait, Three Studies of Figures on Beds, In Memory of George Dyer… de Bacon – s’impose une idée constante de la perspective bousculée, de l’anamorphose, où la déformation des corps et des visages chez l’un fait écho aux métamorphoses organiques de l’autre.
“Le réalisme, c’est de la foutaise”, disait Giacometti, qui poussa la figuration humaine à la limite de son évanescence. “Encore que présentes ici, où sont donc ces figures de Giacometti dont je parlais, sinon dans la mort ?”, écrivait Jean Genet dans L’Atelier d’Alberto Giacometti. Quinze ans après la disparition de son ami cher, pour lequel il posa (ce que rappelle l’expo de l’Institut), Jean Genet confiait à Antoine Bourseiller dans un entretien filmé que l’artiste lui avait appris “la sensibilité devant la poussière”. Jean-Marie Durand
Bacon-Giacometti Jusqu’au 2 septembre, Fondation Beyeler, Bâle
L’atelier d’Alberto Giacometti vu par Jean Genet Jusqu’au 16 septembre, Institut Giacometti, Paris XIVe
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