Un homme, sa maîtresse, une soirée qui part en vrille. Yasmina Reza moque les travers de la petite-bourgeoisie dans Bella figura, d’où émerge une héroïne flaubertienne incarnée par Emmanuelle Devos.
Que peut-on espérer d’une soirée où un homme ne trouve rien de mieux à faire que de proposer à sa maîtresse de dîner dans un restaurant conseillé par sa femme ? Séduite par l’idée qu’un événement entaché d’un tel péché originel soit apte à contaminer toutes les situations du théâtre, Yasmina Reza en fait dans sa pièce le détonateur moral qui met le feu aux poudres.
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Rappelons que Bella figura est née à la suite d’une commande d’écriture de la Schaubühne de Berlin et que la pièce a été taillée sur mesure pour l’actrice Nina Hoss. C’est elle qui, dans la mise en scène de Thomas Ostermeier créée en 2015, tenait le rôle de la belle Andrea, la maîtresse égarée dans cette galère. D’une star à l’autre, c’est aujourd’hui Emmanuelle Devos qui, pour la création française de la pièce, se glisse dans la peau du personnage, sous la direction de Yasmina Reza.
https://youtu.be/poi8shXmiKs
Tout démarre sur les chapeaux de roues. Alors qu’ils n’ont pas pris la peine de sortir de leur voiture, il suffit d’une prise de bec sur le parking de ce restaurant maudit pour que vole en éclats le couple qu’Andrea forme avec Boris (Louis-Do de Lencquesaing).
Le sfumato subtil d‘un magnifique portrait de femme
Le pire reste à venir avec une marche arrière engagée de manière intempestive, véritable coup de théâtre. Pour le malheur de Boris, c’est un accident, au sens littéral du terme, qui décide de la suite des événements, avec l’arrivée dans l’arène de Françoise (Camille Japy), la meilleure amie de sa femme. Elle est venue là avec son mari Eric (Micha Lescot) pour fêter l’anniversaire de sa belle-mère Yvonne (Josiane Stoléru). On se doute du malaise qu’un tel chassé-croisé ne va pas manquer de provoquer.
Si la cruauté du rire épingle d’emblée la banalité crasse du machisme au quotidien et la lâcheté convenue des petits-bourgeois, Reza ne se contente jamais d’une simple remise au goût du jour des codes du boulevard. Son théâtre fuit l’anecdotique. S’inquiète-t-elle d’être mal comprise ?
Elle précise son propos dans le programme : “Je n’ai jamais raconté d’histoires dans mes pièces, et on ne sera pas surpris qu’il en aille encore ainsi. A moins qu’on ne considère comme une histoire la matière stagnante et houleuse de la vie.”
Reste la divine surprise de croiser un personnage hors norme. Nonchalante et sensuelle, la figure d’Andrea se révèle, scène après scène, dans le sfumato subtil du magnifique portrait de femme niché au cœur de Bella figura. Imaginant l’impossible, Yasmina Reza consacre sa pièce à la naissance d’une héroïne à la grâce flaubertienne, d’autant plus inoubliable que la comédie qu’elle lui réserve prend les allures d’une épreuve du feu où rien ne lui est épargné.
Bella figura Texte et mise en scène Yasmina Reza, avec Emmanuelle Devos, Camille Japy, Louis-Do de Lencquesaing, Micha Lescot, Josiane Stoléru, du 7 novembre au 31 décembre, Théâtre du Rond-Point, Paris VIIIe
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