Né en Prusse en 1882, libertaire, B. Traven a parcouru l’Amérique du Sud et s’est employé à brouiller sa propre piste. Frédéric Sonntag invente une enquête gonzo autour de ce romancier-aventurier.
“Dans la jungle, il n’y a que les enfants et les fous qui posent des questions.” A cette antienne attribuée aux Indiens d’Amérique du Sud, on serait tenté d’associer une saillie de l’auteur B. Traven (1882-1969) qui se fait connaître en se préoccupant du sort des Indiens exploités dans la jungle du Chiapas au Mexique avant de devenir un littérateur couronné quand l’une de ses œuvres est célébrée par Hollywood avec l’adaptation qu’en fit John Huston pour son film Le Trésor de la Sierra Madre (1948).
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“Si vous ne voulez pas qu’on vous mente, écrit B. Traven, ne posez pas de questions. Le mensonge est la seule véritable défense de l’homme civilisé face à quiconque l’importune. Il n’y aurait pas de mensonges, s’il n’y avait pas de questions.” Un homme averti en vaut deux, mais il en faudrait bien plus pour inquiéter Frédéric Sonntag, qui consacre sa pièce à l’histoire de cet aventurier proche des idées anarchistes dont la destinée se déploie au long du XXe siècle comme une fiction apte à construire la plus ébouriffante des légendes.
Cumul de métiers et d’identités
Frédéric Sonntag aime à débusquer ce qui se cache derrière le rassurant concept d’identité publique. Après avoir sondé les zones d’ombres relatives à George Kaplan en 2013 et Benjamin Walter en 2015, ce dernier volet de sa Trilogie fantôme a l’ambition de rendre compte du destin d’un homme passé maître dans l’art de brouiller les pistes.
Au-delà de sa qualité d’auteur à succès dans les années 1950, B. Traven revendiquait d’avoir pratiqué toutes les professions. Il affirmait avoir été libraire, traducteur, boulanger, mécanicien, boxeur, poète, travailleur dans les champs de coton et photographe d’une expédition archéologique. Au cumul de ces métiers s’associent autant d’identités. Essayer de remonter le cours des existences de B. Traven, c’est comptabiliser la foule des pseudonymes de celui qui avançait masqué derrière les patronymes de Kraus, Lainger, Wienecke ou Croves.
Apprenti serrurier, il se fait appeler Ret Marut quand, après avoir été arrêté par la police allemande, il doit fuir vers l’Autriche en 1919 et commence une vie d’exilé
Sur son passeport mexicain figurait le nom de Traven Torsvan, né à Chicago en 1890, mais les biographes s’accordent à dire qu’il était européen, se nommait Otto Freige, était né en Prusse en 1882. Apprenti serrurier, il se fait appeler Ret Marut quand, après avoir été arrêté par la police allemande, il doit fuir vers l’Autriche en 1919 et commence une vie d’exilé.
Déléguant cette quête à un couple impayable de documentaristes gonzo, Frédéric Sonntag muscle sa recherche biographique d’une série d’anecdotes désopilantes. L’idylle entre le caméraman fumeur de joints et la réalisatrice qui a tout d’une héroïne de la série Drôles de dames est un délicieux fil rouge qui transforme le roboratif décryptage de la fiche Wikipédia de B. Traven en une comédie de tous les dangers.
De Berlin à l’Amérique du Sud, via le Mexique
Sur le plateau, on s’amuse d’une esthétique digne de la ligne claire chère aux albums d’Hergé. L’histoire de notre héros commence à Berlin où il croise Rosa Luxemburg et les spartakistes. Elle se poursuit au Mexique avec la rencontre d’un rescapé des Soviets nommé Léon Trotski et continue en Amérique en compagnie de Dalton Trumbo aux temps de la chasse aux sorcières menée dans les milieux du cinéma par le maccarthysme.
Mise en musique par un groupe jouant en live, la pièce a peut-être les yeux plus grands que le ventre quand elle se réclame de chroniquer en parallèle la vie communautaire dans un squat parisien. Ce saut dans le temps nous ramène en 1994 et permet à l’auteur et metteur en scène d’évoquer la fin des idéologies, du rappel des luttes menées par le sous-commandant Marcos dans les Chiapas jusqu’aux désillusions d’aujourd’hui.
Mais comment reprocher à Frédéric Sonntag cette mise en perspective ? Evoquer le parcours de B. Traven ne pouvait se réduire à une soif de vivre se conjuguant au passé. Le prenant comme un modèle aussi foutraque que fascinant, le spectacle se devait, pour l’honorer sans le trahir, de réveiller en nous le désir de s’engager comme lui dans les combats du présent.
B. Traven Texte et mise en scène Frédéric Sonntag, avec Simon Bellouard, Julien Breda, Romain Darrieu, Amandine Dewasmes, Florent Guyot, Sabine Moindrot, Malou Rivoallan, Fleur Sulmont, Paul Levis et Gonzague Octaville. Les 19 et 20 avril, Le Grand R, scène nationale La Roche-sur-Yon
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