Adoubée par le public, l’édition 2011 du Festival d’Avignon a réuni une génération d’artistes déterminée à fusionner les disciplines.
Au mitan du Festival, la permière de Cesena d’Anne Teresa De Keersmaeker avait des allures de cérémonial solaire, débutant la nuit pour traverser l’aube jusqu’aux premiers rayons du soleil. Devant une cour d’Honneur du palais des Papes bondée à 4 h 30 du matin, l’élégance de la chorégraphe flamande se joue de l’apparition graduée de la lumière, mêlant en un même souffle les chants polyphoniques de l’ars subtilior (XIVe siècle) et la danse.
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Epure du geste et du cadre : plateau nu à l’exception d’un cercle de sable crissant sous les pas des interprètes quasi invisibles dans la pénombre du début. Un montage cut parfaitement raccord avec la dernière image d’En atendant, créé lors de la précédente édition au cloître des Célestins, qui s’achevait à la tombée du jour, à l’instant où les corps et la pierre devenaient une seule et même indéfinissable matière.
Des critiques énervés
Ainsi, Avignon se joue dans la continuité de sa précédente édition,comme un feuilleton scénique… Le lieu d’une approche réunissant performance, théâtre, danse, art et musique dans un même mouvement. Un propos réunificateur qui, depuis 2004, ne cesse d’énerver les critiques de tous poils, perturbés par cette transversalité qui ouvre les spectacles vers d’autres champs que les rassurantes catégories habituellement en place pour les classer.
Malheur aux artistes qui osent faire voler en éclats les frontières entre les arts et se retrouvent comme des punching-balls sous les coups d’une critique si spécialisée dans chaque catégorie qu’elle refuse de rendre compte du mélange des genres et propage alors des images archifausses de cette 65e édition, pourtant l’une des plus brillantes conçues par ses directeurs, Vincent Baudriller et Hortense Archambault.
Arthur Nauzyciel (Jan Karski) se voit reprocher de “rater l’ouverture d’Avignon”, Frédéric Fisbach (Mademoiselle Julie) d’avoir entraîné Juliette Binoche dans une aventure sans issue, Sophie Perez et Xavier Boussiron (Oncle Gourdin) de pondre des trucs de clown niveau grands débutants. Idem pour Patrick Pineau (Le Suicidé) dont le spectacle “se dissout dans l’espace” de la carrière de Boulbon, et jusqu’à Boris Charmatz (Enfant) travaillant sur un “chaos de corps égarés” dans la cour d’Honneur… En attendant le sort réservé à François Verret, Pascal Rambert ou Guy Cassiers, seul Vincent Macaigne et son Hamlet, pourtant qualifié de “potache” semble échapper à l’hallali.
Comme s’il s’agissait, d’abord et surtout, de s’opposer aux choix de Vincent Baudriller et Hortence Archambault, pour tenter de rallumer la mèche susceptible (la critique la plus assassine) de raviver les feux de cette polémique du soupçon « Avignon : élitiste branché, voire sectaire » qui fit la joie des plus réactionnaires, gauche et droite confondues, avant même l’ouverture du festival. On émettra aussi l’hypothèse que la décision du ministre Frédéric Mitterrand de nommer un successeur (Olivier Py) aux directeurs d’Avignon et d’en faire des « has been » alors qu’ils ont encore deux éditions à mener à bien n’arrange rien à la chose. Cette fin de mandat annoncée aura eu pour premier effet de libérer les plumes, en autorisant tous les excès et en transformant le simple désaccord du journaliste en jugement sans appel. Une attitude qui cloue au mur les propositions artistiques sans jamais tenir compte du succès public dans des salles pleines où les rappels nourris et parfois debout témoignent de la réussite de cette édition.
Accord parfait entre le fond et la forme
Alors qu’un tel fossé se creuse entre ce qui se découvre à Avignon et son image rapportée dans les médias, qu’avons-nous vu dans cette 65e édition ? D’abord des spectacles magnifiques où les artistes témoignent de leur univers singulier avec une maîtrise rare, mais aussi de l’évidence d’un immense désir de partager, via le fil rouge de la thématique de l’enfance proposée par l’artiste associé Boris Charmatz… Une première dans l’histoire du Festival.
Ainsi, bien plus qu’un catalogue, Avignon mue pour se découvrir comme une collection, et à la manière d’un musée, offre la possibilité de parcours différents au contact d’œuvres qui se répondent les unes aux autres. Dans un accord parfait entre le fond et la forme, le Festival consacre l’émergence de cette nouvelle scène transversale qui se nourrit de tous les arts et lui donne ses lettres de noblesse. Une étape inédite dans l’histoire du spectacle vivant dont il serait grand temps que nous prenions tous acte.
Fabienne Arvers & Patrick Sourd
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