Mettant à profit les technologies contemporaines, Re : Walden de Jean-François Peyret compose un paysage musical, visuel et sonore au cœur de l’œuvre essentielle d’Henry David Thoreau.
« On n’entend pas ! » « Plus fort ! » Le public, cet impatient, s’énerve. Pas de doute, nous sommes à Avignon. À Villeneuve lez Avignon, pour être précis. C’est là, dans l’espace privilégié de la Chartreuse, que Jean-François Peyret présente Re : Walden. « Re », comme retour, car depuis quelques années le metteur en scène ne cesse de revenir à ce texte d’Henry David Thoreau. Walden n’est pas un livre comme les autres. Tenant à la fois du récit et de l’essai, cette œuvre unique en son genre raconte une expérience de vie en harmonie avec la nature au bord de l’étang de Walden dans le Massachusetts. Pendant deux ans, Thoreau a vécu là seul au milieu des bois dans une cabane construite de ses propres mains. Anarchiste, auteur d’un texte célèbre sur la désobéissance civile, il prône l’autosuffisance, pêchant et cultivant son potager.
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Sur le plateau, les comédiens énoncent le texte sans élever la voix comme on pourrait le faire pour ne pas effaroucher un animal aperçu lors d’une promenade. La nature n’a pas peur de se montrer, écrit Thoreau, mais il faut savoir se mettre à son écoute. Bientôt les voix sont non seulement amplifiées, mais participent d’un ensemble plus vaste entraîné par la musique composée et interprétée sur scène par Alexandros Markéas.
Re : Walden conjugue avec un sens aigu du détail et de la nuance, images, musique et voix (en anglais et en français) ; le tout basculant progressivement et de façon plutôt étrange du côté du virtuel avec l’apparition d’avatars doublant l’espace du plateau d’une seconde dimension presque fantomatique. Projetées sur le mur du fond, les images de l’étang et de la forêt filmées pendant un an depuis la cabane de Thoreau interagissent avec le piano de Markéas.
Il y a une forme d’ironie dans ce déploiement technologique au service d’une œuvre tout entière dédiée à la nature. Mais s’intéresser à Thoreau, c’est aussi prendre la mesure de ce qui nous sépare de lui tout en prêtant attention à ses mots. Comme souvent dans les spectacles de Jean-François Peyret, les acteurs font entendre le texte par petits bouts, en s’arrêtant au milieu d’une phrase, en le reprenant, en hésitant. Comme s’ils nous faisaient part de leurs doutes ou de leurs difficultés, reproduisant ainsi l’expérience d’une première lecture. Walden est une mine de citations. D’où l’impression qu’ils piochent dans le texte ou vont à la pêche aux mots – littéralement, même, quand c’est avec une vraie canne à pêche qu’un comédien attrape des lambeaux de phrases projetées en fond de scène.
L’aventure de Thoreau est avant tout une expérimentation en quête d’une autre façon de vivre. Mais cette expérience éminemment personnelle, même si elle a fait beaucoup d’émules, se laisse difficilement résumer. Ce spectacle n’est pas une transposition de l’univers de Thoreau. C’est plutôt un voyage au cœur des thèmes ressassés par un écrivain qui, dans sa quête d’innocence, défendait une forme de non savoir proche du taoïsme : « J’ai toujours regretté de n’être plus aussi sage que le jour où je suis né ». Immergé dans le paysage – que rappellent les images admirables du vidéaste Pierre Nouvel –, Thoreau, en même temps, tourne le dos au monde. Au point de se sentir de plus en plus étranger à ses semblables. Vers la fin, une version jazz du People Are Strange des Doors rappelle joliment la solitude de celui qui ne voulait « affronter que les faits essentiels » et se « consacrer à l’infini ». Beau spectacle.
Hugues Le Tanneur
Re : Walden, d’après Henry David Thoreau, mise en scène Jean-François Peyret, avec Jos Houben, Clara Chaballier, Victor Lenoble, Lyn Thibautl, Alexandros Markéas (piano). Jusqu’au 11 juillet, 18h à Villeneuve les Avignon. Dans le cadre du festival d’Avignon.
Du 16 janvier au 15 février au théâtre de la Colline, Paris.
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