Entre théâtre et performance, « Conte d’amour » du Suédois Marcus Öhrn est une immersion en eaux troubles confrontant un père incestueux et ses victimes désarmées.
On ne saurait trop se méfier de l’amour paternel. Quand un des acteurs entonne Love Will Tear Us Apart, célèbre morceau du groupe Joy Division – dont on rappellera au passage que le nom renvoie aux camps de concentration nazis –, l’ironie affolante de cet excès d’ « affection » d’un père pour sa progéniture enfermée dans une cave prend sa pleine mesure. S’inspirant de Josef Fritzl, cet Autrichien qui pendant vingt-quatre ans a séquestré sa fille dans un sous-sol et lui a fait sept enfants, ce spectacle ne raconte pas une histoire, mais se présente comme une immersion dans quelque chose d’innommable. Le dispositif conçu par Marcus Öhrn scinde l’espace scénique en deux niveaux. En haut l’appartement du père et en bas la cave, dissimulée à la vue du public – c’est alors sur un écran divisé en deux parties qu’apparaissent les protagonistes.
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Les descentes du père dans la cave, où il retrouve sa fille (interprétée par un homme) et les deux garçons nés de ses œuvres, relèvent d’une forme de rituel. Les témoignages d’amour exprimés par ces prisonniers, parfois d’une voix suraiguë, nous font basculer dans un domaine extrêmement troublant. Bourreau des cœurs à sa manière, le père est un dieu violent quand il ne se prend pas pour un humanitaire parachuté en Afrique. La caméra filme à bout portant avec cet effet paradoxal de permettre aux acteurs une certaine distance, voire de second degré. Terrible, douloureux, ce spectacle très bien tenu soulève une foule de questions dérangeantes.
Conte d’amour, de et par Marcus Öhrn, Nya Rampen et Institutet.
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