Après Avignon cet été, Christoph Marthaler présentera aux amadiers de Nanterre son « King Size », un récital amoureusement mélancolique à pleurer de rire.
En l’absence de playlist complète disponible et de notes aisément déchiffrables, pour relater la soirée King Size offerte par Christoph Marthaler dans le cadre des Artistes un jour au festival d’Avignon, on en sera condamnés à travailler sur l’écume de nos émotions et de nos rires. D’abord, il y a cet ennui inouï : le plan fixe sur le décor d’une chambre d’hôtel bleu-vert. Un environnement de placards aux moulures dorées comme autant de références au boulevard et à ses portes qui claquent. Des portes donc, derrière lesquelles se cache des mystères, de l’inaccessible minibar aux garde-robes servant de coulisses aux comédiens. Sans oublier cette alcôve abritant un lit king size bleu-roi imprimé fleuri, propice à cette soirée dédiée à tout ce qui, en musique, raconte une histoire d’amour. Un lit dans lequel, comme première image, Christoph Marthaler installe un homme qui dort.
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Sauf qu’il ne peut s’empêcher de préciser avant son spectacle, dans toutes les langues et en finissant par le japonais, qu’il est recommandé de laisser son téléphone portable allumé, de froisser le papier de ses bonbons et de tousser sur tous les tons. La plaisanterie dure dix bonnes minutes, une éternité pour un spectateur chauffé à blanc par l’hystérie festivalière. Par intermittence, une femme avec un cabas traverse la pièce. Plus tard, on s’apercevra qu’avec elle, Marthaler fait un clin d’œil à Copi et sa femme assise. L’homme qui dort, lui, se lève, prend sa douche devant nous, puis s’habille. Il s’avère être le pianiste qui, une fois prêt, lance ce que le metteur en scène nomme « eine enharmonische verwechslung », que nous traduirons par une substitution enharmonique… En clair : une technique de composition musicale qui permet d’écrire un même son, à la même hauteur, de deux manières différentes.
Et pour être encore plus précis, un délire foutraque à deux voix, un medley d’airs lyriques, de chansons de salle de garde, de musique sérielle ou de pop, comme ce Tout, tout pour ma chérie de Michel Polnareff chanté et dansé sur une chorégraphie burlesque truffée d’impayables MacGuffins. Sans oublier Bach et les Jackson Five… Avec ses allures de comédie musicale compassée et de théâtre de boulevard contaminé par celui de l’absurde cher à Beckett, Marthaler nous offre là une de ses plus belles œuvres, dans un temps arrêté que n’aurait pas renié Klaus Michael Grüber. Un univers que l’on pourrait résumer à cette phrase arrachée à ce qui est dit : « Avoir toujours été ce que je suis et maintenant si différente de ce que j’étais ». Un condensé de mélancolie qui déclenche des saccades de rires incontrôlés. Une heure vingt d’un bonheur hors pair. Un absolu coup de maître.
Fabienne Arvers et Patrick Sourd
King Size, mise en scène Christoph Marthaler,
Du 18 au 25 janvier au Théâtre Nanterre Amandiers. En allemand surtitré.
www.nanterre-amandiers.com
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