Jean-Pierre Baro reprend sa création londonienne « Suzy Storck », qui questionne la condition féminine au présent, ce vendredi et samedi au Théâtre national de Bretagne.
On se réjouit de la reprise de Suzy Storck au festival du TNB de Rennes, une pièce où Jean-Pierre Baro signait, en 2017, le coup d’essai, coup de maître, de sa première création à Londres. Une opportunité pour le metteur en scène de défendre outre-manche le talent de Magali Mougel en portant à l’incandescence l’écriture de la jeune auteure française dans la traduction au cordeau de Chris Campbell. L’occasion de saluer également le pari gagné par la nouvelle directrice artistique du Gate Theater de Notting Hill, Ellen McDougall, qui élargissait ainsi le concept de la French Touch aux planches londoniennes en offrant au metteur en scène la possibilité de s’initier à l’art de diriger une troupe d’actrices et d’acteurs en anglais.
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Revisiter la légende du crime et de l’infanticide
Dès que les portes s’ouvrent, on est invité à s’aventurer dans le décor d’une cuisine en désordre. On s’installe sur des bancs placés le long des murs en prenant garde à ne pas marcher sur la myriade de jouets couvrant le carrelage. Mais, puisqu’il s’agit de revisiter la légende du crime et de l’infanticide commis par une magicienne qui s’avère être la fille du soleil, c’est l’irradiante puissance de l’astre du jour qui pénètre dans la pièce et lance l’action en guise de trois coups. L’inondation de lumière transfigure en un magnifique vitrail le verre cathédral de l’unique fenêtre donnant sur l’extérieur. Cette débauche de rayons dorés s’accorde aux motifs du paysage sylvestre du papier peint pour donner à cette cuisine des allures de sous-bois à l’heure du couchant. L’illusion ne dure qu’un instant, mais elle permet à Jean-Pierre Baro d’élargir le champ des possibles de sa fiction en nous faisant oublier la banalité du quotidien à travers une image qui place son héroïne dans la situation d’une bête aux abois tandis qu’une meute humaine l’entoure et que l’heure de l’hallali semble avoir sonné.
Le retour au réel n’en est que plus saisissant. Assise à une table en sous-vêtements, Suzy Storck broie du noir devant trois bouteilles à moitié vides. Femme sous influence, elle désespère de sa vie et de la responsabilité d’une famille qui lui ferme toute chance de pouvoir se construire un avenir personnel. Caoilfhionn Dunne, qui incarne avec brio le personnage, rumine sa détermination à se cabrer enfin pour rompre définitivement avec cette aliénation prétendument consubstantielle de son statut de femme. Insensible aux sarcasmes du coryphée digne de l’antique qu’incarne Theo Solomon, soumise aux violences d’une mère abusive interprétée par Kate Duchene et au machisme droit dans ses bottes de Jonah Russell qui joue le père de ses trois enfants, elle choisit le camp du refus. Suzy Storck est alors une femme dont l’émouvante déroute touche au sublime.
Suzy Storck de Magali Mougel, texte anglais Chris Campbell, mise en scène Jean-Pierre Baro. Festival TNB à Rennes, du 15 au 17 novembre, à 18h le 18 novembre, en anglais surtitré en français.
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