Née dans l’immédiat après-guerre, l’Allemande Isa Genzken a dépassé les anciens carcans et préfiguré les expériences de la culture web. Pop et érudite, son expo au Martin-Gropius Bau assemble tous ces éléments.
“Un désir de changement à la limite de l’autodestruction.” Ainsi se conclut l’essai que consacre en 2014 l’historien de l’art Benjamin Buchloh à Isa Genzken. Aux grandes œuvres, les grands mots. L’artiste allemande, explique-t-il, exprime à elle seule les transformations sociales nées du schisme de l’après-Seconde Guerre mondiale : les balbutiements de la culture de masse, l’industrialisation de l’expérience et, sur le sol allemand, le tiraillement entre le poids de l’histoire et la fascination hédoniste pour les nouvelles contre-cultures.
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Née en 1948 dans la banlieue de Hambourg, Isa Genzken se forme à la prestigieuse Académie des beaux-arts de Düsseldorf, à l’époque où des poids lourds (mâles, blancs) comme Joseph Beuys, Gerhard Richter ou Sigmar Polke y officient encore. Mais dans le monde artistique aussi, une passation de pouvoir est en marche, et les sculptures d’Isa Genzken font le pont entre le fantasme d’autonomie de l’abstraction et le retour au réel du pop art.
“Un équilibre entre le minimalisme et son au-delà”
“Je tente de parvenir à un équilibre entre le minimalisme et son au-delà – en dialogue avec celui-ci, mais en y réinvestissant du contenu”, précise l’intéressée en 2010, lors de l’une de ses très rares interviews. Qu’elle ait choisi pour cela de se confier à l’artiste Simon Denny, 33 ans, affilié à la création dite postinternet, n’a rien d’étonnant.
C’est même une évidence pour qui visite la rétrospective que lui consacre actuellement le Martin-Gropius Bau à Berlin, après un “grand tour” initié en 2013 au MoMA pour s’en aller ensuite investir Chicago, Dallas puis le Stedelijk Museum d’Amsterdam ce printemps.
DIS Magazine, étendard de l’hyperprésent et âtre des nomades numériques
Berlin donc, qui déjà bouillonne d’anticipation à l’approche de sa 9e Biennale qui débutera en juin, curatée cette année par la plate-forme DIS Magazine, étendard de l’hyperprésent et âtre des nomades numériques. Niveau timing, on ne pouvait donc rêver mieux.
Prenons par exemple le visuel de Mach Dich Hübsch! (“Fais-toi belle !”), le titre de l’expo, où l’on voit sept reproductions du célèbre buste de Nefertiti disposées en rang d’oignons. Si l’original somnole non loin derrière une vitrine dans la lumière tamisée du Neues Museum, Isa Genzken en fait voir de toutes les couleurs à ses copies de plâtre affublées de lunettes de soleil cheap.
La déhiérarchisation des sources et des matériaux
Le reste de l’espace est tout aussi saturé, façon Merzbau de supermarché. Au sol, un collage assemble le hit-parade personnel de l’artiste, de Mona Lisa à Michael Jackson, tandis que l’on se faufile à travers une forêt de colonnes réfléchissantes comme des boules à facettes.
La déhiérarchisation des sources et des matériaux, les indices biographiques qui filtrent à travers les icônes de la pop culture, l’hédonisme camp qui adoube le bar et le club comme des espaces de création à part entière : cette grammaire, cet état d’esprit, on les retrouve à même dosage (ultraconcentré) chez la génération DIS Magazine. Le chaînon manquant entre les déracinés de la culture web et l’histoire de l’art canonisée ? Suivez mon regard.
Isa Genzken: Mach Dich Hübsch! jusqu’au 26 juin au Martin-Gropius Bau, Berlin, berlinerfestspiele.de
A voir également : 9e Biennale de Berlin, du 4 juin au 18 septembre, bb9.berlinbiennale.de
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