Pour leur première relecture d’un classique du rire, les metteurs en scène téléportent le dramaturge vers les sommets de l’humour noir, entre hallucination et gags scatologiques.
Erigé au rang de mythe, le pot de chambre en porcelaine réputé incassable qui apparaît en 1910 dans On purge bébé de Georges Feydeau pourrait bien être l’objet fondateur à l’origine du séisme qui chamboule les milieux de l’art quand, sept ans plus tard, Marcel Duchamp fait scandale avec l’invention du ready-made et son œuvre Fontaine où il se contente d’exposer un urinoir ordinaire.
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Outre l’hypothèse de créditer le dramaturge d’une prescience ouvrant sur un nouveau champ des possibles pour l’art contemporain, le choix d’On purge bébé, pièce tardive de Feydeau, permet à Sophie Perez et Xavier Boussiron d’honorer leur auteur au moment où il se détourne du vaudeville pour épingler l’intime avec ses comédies en un acte dédiées à l’enfer de la vie en couple.
Si la pièce témoigne de la déraison du quotidien, elle questionne aussi l’échappatoire dans la folie peu de temps avant que Feydeau ne soit interné en psychiatrie suite à des désordres psychiques provoqués par la syphilis.
Un argument peut en cacher un autre.
Alors que le juteux marché des miraculeux pots de chambre censés redorer le moral des troufions est sur le point d’être signé entre le maître de la maison et un représentant du ministère de la Guerre… v’là-t’y pas que tout est bientôt suspendu par sa femme à la question vitale de la purge de Toto, leur fils de 7 ans, qui refuse de prendre un laxatif.
Assumant de faire rire en écho du célèbre Constipation Blues de Screamin’ Jay Hawkins, Sophie Perez et Xavier Boussiron renomment la pièce Purge, Baby, Purge pour faire sonner leur relecture du standard comique à l’égal d’un vieux hit du rock’n’roll. Détournant les courbes gracieuses de l’exubérance décorative du style nouille, la scénographie se pare d’ocre et d’or pour intégrer les galbes de deux fessiers déféquant en attique et magnifier une double cascade de colombins tombant en volutes le long des murs du salon.
Trip sous acide
Dès l’ouverture, le ton est donné par l’impayable Stéphane Roger qui se vautre sur un étron bien frais lors de son entrée en scène. Réunissant Sophie Lenoir, Marlène Saldana, Gilles Gaston-Dreyfus et Tom Pezier, la distribution rivalise de talent pour transformer la représentation en une performance surréaliste surfant délicieusement sur la scatologie.
Portant des perruques absurdes, des masques livides ou des yeux grotesques pour mieux se dédoubler au fil du récit, la bande nous entraîne de cercle en cercle dans un enfer pour les zygomatiques qui fait passer le grand Dante pour un amateur ès tourments. Dépoussiéré façon cyclone tropical, Feydeau resplendit du recours à ce traitement de choc qui offre une vision hallucinatoire de son théâtre s’apparentant à un trip sous acide.
Purge, Baby, Purge d’après On purge bébé de Georges Feydeau, adaptation et mise en scène Sophie Perez et Xavier Boussiron. Avec Sophie Lenoir, Stéphane Roger, Gilles Gaston-Dreyfus, Marlène Saldana, Tom Pezier. Du 13 au 20 avril, Théâtre Nanterre-Amandiers. Du 23 au 25 mai, Théâtre Saint-Gervais, Genève
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