Exaltant l’humour noir d’Hanokh Levin, Krzysztof Warlikowski lance sa compagnie d’acteurs polonais dans une revigorante danse de mort aussi tragi-comique que politique.
Après sa création Kroum l’ectoplasme au festival d’Avignon en 2008, Krzysztof Warlikowski renoue avec l’ironie glaçante d’Hanokh Levin pour lui consacrer une saison 2 avec On s’en va. Revenant à son titre original, il en adapte sa pièce Sur les valises. Les deux œuvres de l’auteur israélien d’origine polonaise sont jumelles dans leur manière de dire, à travers la chronique d’un quartier populaire, l’absence de perspectives d’avenir.
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Sur les valises porte le constat à des sommets de cruauté, avec une intrigue qui trouve son tempo au rythme de huit enterrements et d’une quête de la liberté à laquelle on ne peut accéder qu’après avoir franchi le seuil de l’au-delà. Une opportunité pour Krzysztof Warlikowski de stigmatiser par le rire l’oppressant huis clos d’une Pologne placée sous la coupe autoritaire d’un populisme d’extrême droite, au pouvoir depuis 2015, tout en se livrant à une réflexion tragi-comique sur l’avenir de sa troupe dans une société polonaise où créer librement devient chaque jour plus périlleux pour les artistes. Sa façon d’imaginer une manière de tirer sa révérence dans On s’en va est alors d’une élégance sans pareille.
Glaces aux flocons de neige
Mettant en tension les espaces où se déroule l’action de part et d’autre d’un parquet de bal, la scénographie de Malgorzata Szczesniak fait dialoguer entre cour et jardin le volume habillé de bois d’une maison commune avec le crépis bleu et blanc de la buvette d’une gare routière. En fond de scène se déploie la façade vitrée du fameux funérarium, où les cortèges funèbres ne vont cesser de se succéder.
Manière de dater le début de l’épopée, tout commence par la retransmission à la radio du concours de l’eurovision 1998, où la chanson interprétée par l’artiste trans Dana International donne le premier prix à Israël. Après ce démarrage en fanfare, Krzysztof Warlikowski avance à tombeau ouvert en faisant défiler les scènes sur le fil d’un rire qui puise à l’écorché vif des émotions.
Renommer sa création On s’en va lui permet de faire résonner la pièce en écho d’autres matériaux dramaturgiques. Hommage à Tadeusz Kantor, il donne à entendre un monologue où le maître du théâtre polonais converse sur la mort dans Je ne reviendrai jamais, l’un de ses ultimes spectacles. Ayant demandé à Wajdi Mouawad de développer dans la pièce le rôle d’une touriste américaine qui ne faisait que passer, il la transforme en une mystérieuse présence et en fait la clef de l’histoire.
Ne résistant pas à la tentation d’emballer la mécanique des services funèbres d’Hanokh Levin, c’est au final toute sa troupe qu’il fait passer de vie à trépas pour lui offrir le bonheur d’accéder, avec On s’en va, à la félicité d’un paradis où tous les maux sont bannis, et où tous se contentent avec délectation de sucer des glaces aux flocons de neige.
On s’en va, d’après Sur les valises d’Hanokh Levin, mise en scène Krzysztof Warlikowski, en polonais surtitré en français et en anglais. Du 13 au 16 novembre, Chaillot-Théâtre national de la danse
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