Du roman fleuve de Peter Weiss, “L’Esthétique de la résistance”, Sylvain Creuzevault propose un marathon théâtral pour les artistes de Groupe 47 de l’École du TNS de Strasbourg.
À quoi sert l’art ? Peut-il se mesurer au réel ? Le changer ? Se représenter le monde et porter un regard sur lui relève-t-il du politique ou de l’esthétique ? Autant de questions brûlantes lorsqu’on démarre un parcours d’artiste et que Sylvain Creuzevault a choisi de partager avec les élèves du Groupe 47 de l’École du TNS de Strasbourg durant deux ans, à partir du roman fleuve de Peter Weiss qui déroule sur neuf cents pages les défaites successives du mouvement ouvrier européen à l’aube du XXe siècle jusqu’à la catastrophe absolue de la victoire du fascisme.
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L’utopie face à la barbarie
On y suit l’errance, l’exil et les combats d’un personnage nommé “le narrateur”, double idéalisé de Peter Weiss, né à Berlin, dont la famille, juive, fuit le nazisme en s’exilant à Londres, puis à Stockholm. Peter Weiss, à la fois dramaturge, peintre, cinéaste et graphiste, est “l’inventeur“ du théâtre documentaire, célèbre pour sa pièce Marat-Sade, mais aussi, et surtout, pour L’Instruction, écrite en 1965 après avoir suivi le procès de vingt-deux responsables du camp d’Auschwitz.
L’Esthétique de la résistance retrace l’histoire d’une utopie engloutie par la barbarie de l’histoire, qu’elle ait pris les traits des purges staliniennes ou des camps d’extermination nazis. Pour autant, la victoire du fascisme ne saurait occulter la puissance d’émancipation et de connaissance qui irrigue le parcours des personnages du roman.
Le présent jauge le passé
On y suit en parallèle, ou plutôt en surimposition, les activités militantes d’un groupe de jeunes communistes à travers toute l’Europe et leur acquisition d’une éducation artistique à même de leur fournir les outils de réflexion que seule l’imagination parvient à extraire de la langue du réel pour l’interpréter, le comprendre, et agir dessus. “Nous ne pouvions pas progresser tant que notre faculté de penser, de combiner des observations et d’en déduire des conclusions n’était pas suffisamment développée”, constate le narrateur, conscient de la lutte et de la volonté qu’exigeait cette soif de savoir alors même que “nous sentions tous combien la journée nous collait à la peau et l’abîme qu’il nous faudrait surmonter avant de pouvoir nous aussi mobiliser notre imagination”.
À l’image du roman composé de trois livres, ce spectacle flamboyant dure près de six heures, scindé en trois parties entrecoupées d’entractes, comme autant de respirations pour encaisser la somme des souffrances et des espoirs dont témoigne chaque personnage. On y croise des volontaires des Brigades internationales, l’Orchestre rouge, Brecht répétant Mère Courage en exil en Suède, Maurice Chevalier et Edith Piaf… L’adaptation du roman, issue d’un travail de lecture approfondi et de la méthode d’improvisation propre à Sylvain Creuzevault conduit à une actualisation du langage et des préoccupations contemporaines qui sied à la jeunesse des interprètes mais qui permet aussi des superpositions temporelles où le présent jauge le passé. Pas un instant, le rythme ne se relâche, porté par la fougue d’une jeune troupe épatante dont on retrouvera certain.es des membres pour le prochain projet de Sylvain Creuzevault, EDELWEISS (France Fascisme), à la rentrée prochaine.
L’Esthétique de la résistance, d’après Peter Weiss, mise en scène Sylvain Creuzevault. Jusqu’au 28 mai au TNS de Strasbourg. Les 9 et 10 juin au Printemps des Comédiens, Montpellier. Du 9 au 12 novembre à la MC93 de Bobigny, Festival d’automne à Paris.
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