En adaptant une nouvelle de Fédor Dostoïevski, Lionel Gonzalez tente de percer l’insondable des êtres à travers le récit d’un homme face au cadavre de sa femme.
Entre le projet mené par Lionel Gonzalez en créant La nuit sera blanche, d’après La Douce de Fédor Dostoïevski, et le lieu de sa représentation dans le Terrier du TGP de Saint-Denis, l’adéquation est totale.
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Pour accéder au Terrier, il faut descendre dans les confins du théâtre où nous attend une salle nue, plantée de poteaux, où public et acteur·rices partagent le même espace au sol de ciment brut. Ce mouvement de descente physique dans les profondeurs cachées, non apprêtées, du théâtre correspond exactement au processus de création engagé par Lionel Gonzalez : se saisir d’un matériau texte pour offrir à l’acteur un moteur d’improvisation qui lui permet d’accéder à “l’invisible du texte”. Une démarche qu’il a expérimentée lors de stages avec le Polonais Krystian Lupa et le Russe Anatoli Vassiliev.
Relire les mots de Dostoïevski
Le résultat est confondant. Telle une sonde, l’acteur utilise le texte original pour en débusquer les pensées qui l’ont fait naître, les images qui l’ont nourri et l’affect qui le porte. Dans le cas de La Douce, il s’agit d’un homme qui, face au cadavre de sa femme, quelques heures après son suicide, cherche à remonter le cours du temps, depuis leur rencontre jusqu’au terme de leur vie commune, pour tenter d’y déceler le courant invisible et inexorable qui aboutit à la mort, la perte, l’absence et la culpabilité.
“Dostoïevski a l’air d’avoir écrit La Douce pour donner corps à sa culpabilité. Il s’imagine être le bourreau de cette jeune fille innocente. Mais un bourreau qui s’ignore. La nouvelle, c’est le chemin de cet homme”, constate Lionel Gonzalez. Celui de l’acteur, c’est “cette rencontre improbable entre les auteurs et l’improvisation. Retourner aux auteurs oui, mais pas pour leur texte, pas pour les mots qu’ils ont laissés sur le papier. Pas pour le visible. Mais pour l’invisible. […] Ce qui nourrit l’acteur improvisateur, l’acteur créateur, c’est la richesse du caché, la densité du sous-sol.”
Une densité traversée à plusieurs : l’acteur, Lionel Gonzalez, accompagné de Jeanne Candel, performant le personnage de Loukeria, la servante, à travers une succession d’actes, relevant du quotidien ou du rituel, agençant à l’envi objets, aliments ou encens, et observant sans piper mot le narrateur se débattre dans les remous de sa mémoire, tandis que la musique scénographique de Thibault Perriard syncope ou étire les éclairs de conscience qui jalonnent ce chemin de croix intime : comment cet homme est devenu le bourreau de celle qu’il aimait, l’a perdue et songe avec horreur à la solitude qui l’attend.
La nuit sera blanche, d’après La Douce de Fédor Dostoïevski, direction artistique Lionel Gonzalez. Avec Jeanne Candel, Lionel Gonzalez, Thibault Perriard. Au TGP de Saint-Denis jusqu’au 22 avril.
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