Dans une pièce cruelle mais bouleversante, Milo Rau reconstitue les heures précédant le suicide collectif d’une famille.
Pour l’ultime volet de son triptyque consacré à des faits divers ayant défrayé la chronique, Milo Rau revient, avec Familie, sur le suicide d’une famille dans laquelle, sans motif apparent, parents et enfants mettent fin à leurs jours par pendaison.
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Questionnant l’irruption de la violence dans des existences bien réelles, le metteur en scène ouvrait le débat, en 2016, en s’emparant du dossier Dutroux. Avec la création Five Easy Pieces, il exorcisait l’image du criminel pédophile en confiant le sujet à des enfants en âge d’être ses victimes.
“On a trop déconné”
Dans La Reprise, en 2019, il procédait à la reconstitution du meurtre d’un jeune Arabe homosexuel, tabassé à mort en pleine forêt après être monté de son plein gré dans la voiture de ses assassins. Après la mise en pièces d’une figure d’ogre contemporain et un hommage à une victime cristallisant les errances de la haine de l’autre, c’est aujourd’hui au cœur des enfermements de la cellule familiale qu’il nous conduit.
L’affaire inspiratrice de Familie s’est déroulée en septembre 2007 à Coulogne, un petit bourg situé en périphérie de Calais. Ce n’est que quarante-huit heures après les faits qu’un voisin découvre quatre corps pendus aux poutres de l’appentis du pavillon des Demeester. Après enquête, aucune cause objective ne semble justifier le geste de cette famille sans histoire. L’énigme s’épaissit avec la découverte d’un dernier message presque comique où l’on peut lire “On a trop déconné. Pardon.” Tandis qu’un autre billet s’inquiète du fait qu’il faudrait trouver quelqu’un pour s’occuper du chien.
“Il y a là-dedans quelque chose d’existentiel, de presque mystique, qui m’a beaucoup intéressé”
Dans Familie, le metteur en scène resserre le champ de la réflexion sur la sphère du privé. “Avec les Demeester, il s’agissait du cas totalement mystérieux d’une famille banale, qui n’avait aucune raison de se tuer, rappelle Milo Rau. Il y a là-dedans quelque chose d’existentiel, de presque mystique, qui m’a beaucoup intéressé. Pour les autres pièces, j’avais travaillé avec des enfants et des non professionnel·les. Cette fois, je voulais travailler avec les membres d’une même famille.”
C’est au sein de la troupe du théâtre de Gand (NTGent), dont il est le directeur artistique depuis 2018, que Milo Rau trouve l’actrice qui va lui permettre de mener à bien son projet.
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“An Miller, qui est la mère dans la pièce, m’a appris qu’elle avait un mari également acteur, connu pour ses collaborations à la télévision et au cinéma, qu’ils avaient deux filles âgées de 14 et 15 ans et possédaient deux chiens. Je lui ai proposé de tous les réunir sur le plateau de Familie. Ils en ont discuté et ont accepté.” Parents et enfants doivent alors imaginer la manière dont il·elles pourraient passer une dernière soirée ensemble avant de reproduire le rituel de leur pendaison.
Le petit pavillon qui cadre la tragédie est pourvu de larges baies vitrées nous laissant à penser que cette famille n’a rien à cacher. Chez eux·elles, on écoute Bach, Haendel et Leonard Cohen. Le père prépare le dîner pendant que la mère est sous la douche et que les filles révisent une leçon d’anglais, au salon, leurs chiens sur les genoux.
Jeu de la vérité
Fruit d’une écriture de plateau, la pièce se nourrit des confessions des membres de cette famille de substitution. Un jeu de la vérité où l’on apprend que les idées suicidaires ne sont pas étrangères au spleen de la plus grande. C’est d’ailleurs elle qui décide du passage à l’acte, en lançant au final un glaçant “faisons-le”.
Troublant tissage mêlant réalité et fiction, le temps de la représentation s’accorde à celui des ruptures propres à l’adolescence. Les filles vont devoir quitter le foyer pour suivre leurs études. La performance cible avec cruauté cette dissolution programmée de la cellule familiale. Au-delà du cérémonial macabre, ce qui se joue demeure une dédicace à l’avenir. Une ode à la vie qui veut que pour grandir l’on doive, quoi qu’il en coûte, accepter, tel un rite de passage, de faire le deuil de la présence des siens.
Familie conception et mise en scène Milo Rau, avec An Miller, Filip Peeters, Leonce Peeters, Louisa Peeters, en néerlandais surtitré en français. Du 3 au 10 octobre dans le cadre du Festival d’Automne à Paris, Théâtre Nanterre-Amandiers, CDN
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