Avec une pointe d’irrévérence, l’auteur et metteur en scène offre une revanche sur la mort aux artistes modèles de sa jeunesse tous emportés par le sida.
On découvre un espace qui se réclame du dehors-dedans de la ville. Autant de coins et de recoins d’où suintent des fantasmes d’amours interdits, un lieu où les rencontres à risque ne s’envisagent que comme des sauts dans le vide, sans lendemain.
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Deux couloirs s’enfoncent à cour et à jardin vers les profondeurs du ventre du métro, tandis que la structure courbe du hall d’un bâtiment industriel s’ouvre à tous les vents sur la noirceur du ciel et la certitude d’un ailleurs devenu inaccessible.
C’est dans cette bouche urbaine aux allures de purgatoire que Christophe Honoré invente le confessionnal d’un tendre gueuloir pour réunir des figures qui furent déterminantes pour lui dans sa jeunesse. Ils se nomment : Cyril Collard, Bernard-Marie Koltès, Jacques Demy, Hervé Guibert, Jean-Luc Lagarce et Serge Daney. Leur disparition a fait de nous des orphelins. Ils ont en commun de tous compter parmi les premières victimes de l’épidémie de sida, qui s’est déclarée dans le monde au début des années 1980.
Un spectacle de Dominique Bagouet qui l’avait bouleversé à ses 20 ans
Un placard publicitaire apporte une touche supplémentaire de cruauté dans le décor pour nous rappeler un impératif : “Rêver.”, cette campagne d’affichage d’un club de vacances continuait à l’époque d’appeler à l’hédonisme sur fond de mer paradisiaque, alors qu’une page venait de se tourner avec l’apparition d’un mal que l’on contient aujourd’hui, mais qui reste impossible à soigner et condamne définitivement l’innocent abandon au désir de tout un chacun.
Se refusant à convoquer ses idoles sur le terrain du drame, la pièce commence par purger une émotion de son créateur avec un souvenir remontant à ses jeunes années. Honoré est alors le seul à assumer de se mettre entre quatre planches pour témoigner (sa voix relayée par une enceinte acoustique sur roulettes poussée au centre du plateau).
L’occasion pour lui de revenir sur Jours étranges, un spectacle de Dominique Bagouet qui l’avait bouleversé à ses 20 ans, et de dire l’insupportable association entre un choc esthétique et la mort d’un artiste – il apprendra quelques semaines après cette découverte, que le chorégraphe venait de mourir du sida.
Des acteurs qui ont les coudées franches
Les représentant en éternels résistants à la norme bien-pensante, ceux qu’il convoque à cette réunion au sommet dans Les Idoles vont se réincarner sur scène. Puisqu’il s’agit d’une revanche à prendre sur la mort, ce rendez-vous commence par un pied de nez à la Faucheuse en distribuant les rôles des chers disparus à des actrices et des acteurs sans se soucier de la vraisemblance du genre.
Ainsi, les acteurs Youssouf Abi-Ayad (Bernard-Marie Koltès), Harrison Arevalo (Cyril Collard), Jean-Charles Clichet (Serge Daney), Marina Foïs (Hervé Guibert), Julien Honoré (Jean-Luc Lagarce) et Marlène Saldana (Jacques Demy) auront les coudées franches pour évoquer la manière qui fut celle de leurs personnages d’inclure ou pas dans leurs œuvres, les références à la dévastation d’un virus qui finit par avoir leur peau.
D’un extrême à l’autre, on s’amuse des postures de chacun. De l’anecdotique d’un Jacques Demy qui se réjouit du secret bien gardé des raisons de sa disparition et peste d’avoir été outé “mort du sida”, par Agnès Varda, après seulement dix-neuf ans d’un repos bien mérité dans l’au-delà.
L’humour en remède miracle
Du côté guerrier de Cyril Collard se revendiquant de son vivant en porteur du sida pour transformer le virus en une arme capable de faire fuir les fachos, quand il se taille la main avec un couteau et menace de les asperger de son sang. La bande-son de cette symphonie crépusculaire décline sa nostalgie en puisant dans la discographie des Doors avec When the Music’s Over ou en piochant dans les bandes originales des films Les Demoiselles de Rochefort, Saturday Night Fever et Les Nuits fauves.
L’humour restant un remède miracle qui garantit l’émotion en évitant les chemins qui pourraient mener aux larmes… Christophe Honoré transforme le cérémonial de ces impossibles retrouvailles en un cabaret prétexte à pousser ses invités dans leurs derniers retranchements. Avec pudeur, il orchestre son hommage comme une ode à la vie et, ce faisant, il touche au bouleversant.
Les Idoles livret et mise en scène Christophe Honoré, avec Marina Foïs, Marlène Saldane… Du 23 au 30 novembre au Théâtre national de Bretagne, Rennes, dans le cadre du Festival TNB. Du 9 janvier au 1er février à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, Paris VIe
Christophe Honoré par Vincent Lacoste, rédacteur en chef
“Les Idoles est une pièce magnifique. J’adore Christophe comme cinéaste mais je ne connaissais pas son théâtre. Comme dans ses films, il se permet des temps incroyables : des accélérations virtuoses, des coulées d’émotion. Il maîtrise les choses dans leur entièreté, pas seulement de façon technique, mais dans toute leur profondeur. Devant la pièce, devant les scènes sur Demy ou le monologue de Marina Foïs sur Guibert, j’étais en chialade absolue !”
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