A Athènes, des chorégraphes s’inventent un futur en mouvement en défiant la crise. Reportage au pied de l’Acropole avant le festival DañsFabrik, à Brest, où l’on retrouvera ces artistes en bonne compagnie.
“Au moins, nous avons le soleil !” On aura entendu plus d’une fois cette exclamation non dénuée d’humour dans la bouche de créateurs rencontrés à Athènes cet hiver. C’est le cas d’Alexandra Bachzetsis, Suisse d’origine grecque qui s’est installée quelque temps au cœur du chaudron contestataire athénien, dans le quartier remuant d’Exarchia.
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Dans un appartement transformé en studio, Alexandra Bachzetsis a répété Score en décembre, ouvrant ses portes à des amis ou des voisins pour dévoiler ce solo façon work in progress. Elle y travaille “la métamorphose, celle des adolescents comme la mienne”, se glissant dans le costume d’un danseur de zeibekiko, une tradition grecque uniquement perpétuée par des hommes.
“J’ai choisi de vivre à Exarchia, l’épicentre des problèmes”
“Je travaille entre les genres, les langues, les cultures”, résume Alexandra Bachzetsis, qui s’avoue moins grecque ici qu’ailleurs. Paradoxe qui renvoie à l’idée de diaspora (il y a autant de Grecs dans le reste du monde que sur leur terre natale !).
“Etre ici en ce moment par rapport à ce qu’il se passe est pour le moins spécial. J’ai choisi de vivre à Exarchia, l’épicentre des problèmes. Même si on peut avoir peur certains soirs de rentrer chez soi, on a également l’impression que tout bouge tout le temps ici”, conclut-elle.
“L’idée, ce n’est pas de faire une programmation de caractère national” Lenio Kaklea, DañsFabrik
Alexandra Bachzetsis fait partie des chorégraphes invitées à Brest pour un focus grec concocté par Lenio Kaklea – qui, elle, vit et travaille à Paris depuis une dizaine d’années. Cette dernière est venue à Athènes faire le tour de la création en danse, “soit une cinquantaine de propositions vues. Mais l’idée, ce n’est pas de faire une programmation de caractère national. Plutôt de rencontrer des personnalités”.
Des femmes en l’occurrence – comme dans tout le reste de la programmation DañsFabrik d’ailleurs –, Grecques d’ici ou de l’extérieur. “Nous sommes à ce moment de transformation. Les gens commencent à vouloir s’installer à Athènes.”
“Nous travaillons en freelance, nous n’avons pas d’endroits, ni de studios”
Pourtant, la situation y est plus que difficile. Le ministère de la Culture est aux abonnés absents. Rares sont les soutiens financiers : il y a le Festival d’Athènes, dont le directeur Yorgos Loukos vient d’être remercié, et la fondation Onassis, qui bénéficie des largesses de l’héritage du fameux armateur. L’Onassis Cultural Centre, ouvert en 2010, reçoit ainsi 350 dossiers par an d’artistes locaux entre danse, théâtre et musique. Il va aider quatre ou cinq projets de chorégraphes, pas plus : financement, salle, aide aux tournées.
C’est le cas cette saison pour Iris Karayan, sans doute une des plus intéressantes artistes de cette scène hellénique. Dans un des studios du centre, elle a montré trente minutes d’Alaska, coproduit par le Quartz de Brest. Impression durable d’une danse incroyablement maîtrisée qui travaille sur le vivre-ensemble, la relation à l’autre. Un maelström de corps qui se joue de la lenteur comme de la vélocité.
“Nous travaillons en freelance, nous n’avons pas d’endroits, ni de studios. Si vous pouvez créer une pièce tous les deux ans, c’est un luxe. Il n’y a pas d’aides de l’Etat. Et ce depuis 2008 !”, constate Iris Karayan sans élever la voix. Le Festival d’Athènes a poussé à cette reconnaissance d’une scène locale en danse des plus fragile.
“Nous avons aidé une génération à émerger”
Iris Karayan ou Lenio Kaklea y ont été programmées, tout comme Pina Bausch, Maguy Marin ou William Forsythe. “Nous avons aidé une génération à émerger durant cette décennie. Surtout, on a convaincu un public que la danse contemporaine avait une raison d’être”, commente Clementini Vounelaki, programmatrice du festival.
Dans le milieu athénien de la danse, on s’entraide autrement. Les troupes de théâtre, peut-être moins impactées par la crise, ont, elles, pignon sur rue, avec une scène nationale. “Venant de la danse, j’ai souffert de la domination du théâtre en Grèce”, commente Lenio Kaklea.
“Notre ville est pleine d’énergie” Kosmas Nikolaou
Alors, la communauté artistique s’invente un présent. A l’image de ce lieu pensé comme un studio avec pour nom un chiffre : 3137. Kosmas Nikolaou le gère avec deux autres créateurs. “Notre ville est pleine d’énergie. Mais les artistes font des événements pop up. Il manque de ce genre de lieux à l’année. Cela change.”
Pas de budget à la clé mais une communauté qui se retrouve en essayant de toucher aussi le voisinage. Lenio Kaklea y a donné une version singulière de son Arranged by Date. Une histoire fascinante de code de carte bancaire perdu qui emprunte à la mythologie comme au discours actuel sur la crise économique par des voies de traverse.
Des espaces de création comme des bouffées d’oxygène
Autre lieu à la marge, le Centre de contrôle de télévision, dans le quartier de Kipseli abandonné par la bourgeoisie locale. Dimitri Alexakis, Français d’origine grecque, et Fotini Banou y accueillent musique expérimentale, débat, théâtre. Ou, ce soir-là, le Collective Choreography Project autour de Mariela Nestora, interprète passée de la génétique moléculaire apprise à Londres à la danse. Tous ces espaces sont autant de bouffées d’air dans une ville où la culture est parfois menacée d’asphyxie.
Mais, de ce coup de projecteur de DañsFabrik à la prochaine Dokumenta qui braquera ses feux sur Athènes en 2017 en dialogue avec Kassel, l’avenir est plein de promesses. En attendant, les artistes jonglent avec un second boulot de jour pour certains, la création en pointillé pour d’autres. A chacun son horizon.
DañsFabrik du 29 février au 5 mars au Quartz de Brest (Focus Athènes du 1er au 5), dansfabrik.com
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