Née d’une envie de “porter la parole des femmes”, la compagnie Les Filles de Simone propose du 5 au 23 juillet au Festival Off d’Avignon une pièce pour parler corps et normes de beauté, sans complexes. Rencontre.
Dans leur pièce Les Secrets d’un gainage efficace, elles parlent librement des poils, des règles, de la vulve. Ou encore de l’acné qui n’en finit pas alors que les rides apparaissent déjà, de l’invention récente du complexe de la cellulite et de tous les autres diktats de la beauté avec lesquels les femmes doivent composer. Après une première pièce C’est (un peu) compliqué d’être à l’origine du monde qui dénonçait féministement les affres de la maternité, Les Filles de Simone s’attaquent cette fois aux injonctions féminines, Mona Chollet et son Beauté fatale comme Bible à l’appui. C’est le succès du Off du festival d’Avignon, édition 2019. Les Inrocks ont rencontré la metteuse en scène Claire Fretel et la comédienne Tiphaine Gentilleau.
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Comment résumer Les Secrets d’un gainage efficace ?
Claire Fretel – C’est l’histoire de cinq femmes qui se réunissent pour écrire un livre sur le corps des femmes et qui, en le rédigeant, se racontent les unes aux autres leurs expériences vécues. Elles partagent leurs hontes, leurs angoisses liées à leur corps, à leur intimité, confient tout haut ce que chacune pense tout bas. Puis, il y a des bulles plus fantasmées, plus loufoques dans la pièce, qui racontent d’où viennent les injonctions féminines et à qui cela profite.
Comment est née l’idée de cette pièce ?
Tiphaine Gentilleau – Tout est parti de la découverte dans une brocante du livre Notre corps, nous-mêmes. En le feuilletant, on s’est dit : « C’est dingue, il date des années 1970, et pourtant dedans il y a des choses que l’on ne verrait plus aujourd’hui. » Pas parce que ces choses sont réglées mais parce que c’est devenu encore plus tabou qu’avant d’en parler. Ça a fait naître l’envie d’un spectacle de groupe de femmes autour du corps des femmes.
Claire Fretel – En lisant ce livre, on était sidérées d’en apprendre autant. On a toutes environ 35 ans, on peut considérer qu’on connaît notre corps à notre âge ; on a passé l’étape de la puberté, celle de la maternité, on a une vie sexuelle active. On aurait tendance à penser que ce sont des choses acquises. Et pourtant, on en a appris énormément dans cet ouvrage détonnant. Il mêle des photos de femmes s’explorant le sexe avec un miroir, des témoignages de femmes, des schémas. Très bien faits, très explicites, très précis sur le sexe féminin, comme on ne trouverait plus aujourd’hui à destination des jeunes femmes.
Tiphaine Gentilleau – Les femmes du collectif de Boston avaient rédigé ce livre avec des infirmières, des docteurs, il y avait un vrai apport scientifique. On voyait des poils sur les schémas représentant des pubis. Des poils ! Ce qui n’arrive plus du tout aujourd’hui, dans aucun manuel. Un sexe féminin n’aurait pas de poil à en croire ces ouvrages…
Claire Fretel – On a été interpellées aussi parce que ce bouquin, c’est celui de la génération de nos mères. Plein de femmes nous ont dit « Ce livre, je l’avais ! » ou « Il était dans la bibliothèque de ma mère ». Et paradoxalement, nos mères ne nous l’ont pas transmis. On s’est dit qu’il y avait eu un problème de transmission, un voile qui avait recouvert à nouveau les questions liées aux corps des femmes, à leur sexe…
Tiphaine Gentilleau – Que cela a laissé la place à la honte, qui elle, en revanche, passe de génération en génération sans problèmes.
Pourquoi avoir créé la compagnie Les Filles de Simone en 2014 ?
Claire Fretel – On l’a créé en même temps que notre premier spectacle C’est (un peu) compliqué d’être à l’origine du monde. On fondé la compagnie à trois : Chloé Olivères, Tiphaine et moi, parce qu’on se retrouvait sur ces thématiques. On avait envie de travailler sur les injonctions contradictoires dont notre quotidien est fait, et sur l’intime, qui a des résonnances politiques. Pour nous, c’était également important de créer nos propres conditions de travail où l’on pouvait sereinement conjuguer vie d’artiste et maternité.
Tiphaine Gentilleau – On avait déjà énormément travaillé avec des hommes. On a eu envie de porter la parole des femmes sur un plateau. Le théâtre sert à parler de la cité, du monde d’aujourd’hui. Sans la parole des femmes, il manque les voix de l’ensemble de la société. Les Filles de Simone, c’est une sorte de girls club (club de filles, ndlr) où l’on peut partager nos compétences de façon complémentaire, dans la bienveillance et la sororité.
Dans votre pièce, vous abordez aussi le thème du viol et des agressions sexuelles. Quid de #MeToo dans le théâtre ?
Claire Fretel – On a vécu plein de petites choses ; autour de nous, il y a des femmes qui en ont été victimes, mais aucune de nous trois n’a personnellement vécu cela. Mais il est clair que c’est un milieu où il y a quelque chose de latent. Même sans véritable passage à l’acte, il peut y avoir des petites phrases, des gestes déplacés…
Tiphaine Gentilleau – Le rapport entre le metteur en scène et la comédienne créé une zone qui n’est jamais confortable. C’est peut-être aussi la raison pour laquelle on a tenu à créer notre propre compagnie, pour nous préserver de cette zone.
Claire Fretel – En revanche, en devenant mère, on a fait face à d’autres discriminations. On a vraiment sentie la dialectique mère/putain. En devenant mère, on n’est plus considérée comme une femme désirable. L’imagination des metteurs en scène peut disparaître tout d’un coup, on n’imagine plus qu’une comédienne mère puisse jouer Ophélie, Antigone.
Considérez-vous votre théâtre comme politique ?
Tiphaine Gentilleau – Ce n’était pas notre première volonté, mais reste qu’on est tout le temps habitées par cette phrase : « Le privé est politique. » Donc oui, de fait c’est un acte politique lorsque l’on évoque tous les tabous et les hontes qui pèsent sur le corps des femmes et qui sont entretenus par les religions, la publicité, le marketing beauté. Ce n’est pas une problématique individuelle, ce ne sont pas des histoires de bonnes femmes. C’est une question collective qui est amenée sur le plateau.
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