Le festival de danse contemporaine Kinani qui s’est déroulé à Maputo, capitale du Mozambique du 21 au 26 novembre a révélé une fois de plus la vitalité de la danse africaine, qui s’affranchit toujours davantage des codes chorégraphiques occidentaux.
Maputo, capitale du Mozambique, se modernise très vite et se remplit de nouvelles constructions anarchiques. Un pont modèle Golden Gate encore inachevé domine maintenant la ville, il enjambe le bras de mer pour relier Maputo à Katembe et ouvrir la route vers l’Afrique du Sud. Il est l’œuvre des Chinois, dit-on ici avec une pointe de mépris. Mais dans les rues qui portent encore les noms de Ho-Chi-Minh, Karl-Marx et autres Lénine, toujours pas de service public de transport et chaque jour des foules de travailleurs s’entassent sur les trottoirs en attendant les minibus privés pour rentrer chez eux. Le pittoresque marché aux poissons avec ses guinguettes a été rasé, remplacé par une hideuse construction hygiénique et moderne… Les Chinois encore, paraît-il ! Mais les Chinois ne sont pas venus tout seuls…
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Vingt-quatre spectacles issus de quatorze pays
Quito Tembe, le bouillant directeur de Kinani, festival de danse contemporaine, a installé sa base dans une immense carcasse en béton d’un immeuble de dix étages jamais achevé, transformé pour l’occasion en restaurant, bar, lieu de fêtes et de concerts, et en espace pour les performances des danseurs sur quatre étages suspendus dans le vide.
Vingt-quatre spectacles issus de quatorze pays différents ont été présentés, essentiellement africains, et défendent une danse qui semble s’affranchir peu à peu du désir mimétique avec la danse contemporaine française. Avec en ouverture, Théka, une création de Horacio Macuaca et de Idio Chichava (chorégraphe et danseur virtuose mozambicain devenu pilier de la compagnie toulonnaise « Kubilai Khan investigations »), une saga de quatorze interprètes multipliant les danses de groupes inspirées de la tradition et des duos souvent burlesques. Horacio et Idio balayent la sempiternelle opposition entre tradition et modernité et revendiquent joyeusement toutes les “nourritures africaines”. “C’est notre cuisine et ce sont nos matériaux techniques et poétiques”, disent-ils. Ce pourrait être un must en France pour les grands plateaux en manque de grands formats, malheureusement aucun “programmateur” ne s’est déplacé.
Une vivacité jubilatoire
Après cette ouverture brillante dans le petit palais qui est le siège du Centre culturel français et mozambicain, la compagnie Panaibra, fondatrice du mouvement contemporain au Mozambique reprend son spectacle historique, datant d’une dizaine d’années, Dentro de mim outra ilha, réunissant les meilleurs interprètes du pays qui poursuivent tous aujourd’hui des destins singuliers. Un spectacle de rejet de toute esthétique, une mise en pièces des formatages, un appel au refus des consentements et des consensus d’une vivacité jubilatoire.
Beaucoup de solos (économie oblige), dont celui de Wanjiru, Kenyane américaine et française qui incarna Joséphine Baker dans le spectacle de Jérôme Savary et qui, sous l’œil de Robyn Orlin, a conçu ce moment élégant d’une danse afro-américaine tout en climats sensuels apaisés.
Remarquables aussi, ceux de Marcel Gbeffa, du Bénin, à la plastique parfaite, trop parfaite, presque académique, mais danseur d’exception, et de Pack Ndjamena, étonnant danseur-acteur mozambicain, en personnage de rue cousant à la machine à coudre, un parapluie décoré de fleurs à la main…
Et Vera Mantero vint… pour la première fois au Mozambique avec deux solos autour de deux figures : Joséphine Baker, le corps nu peint en noir, chaussée de sabots de faune dans une immobilité parfaite et le second, très dansé, autour de Thelonius Monk. D’un seul coup, le public du festival plutôt bruyant et agité du portable, bascula dans le silence des grands moments de tension, fasciné par cet étrange phénomène qui ne ressemblait à rien de ce qu’il connaissait et lui fit un triomphe.
Quito Tembe n’a pas hésité à montrer de nombreux projets en devenir : la danseuse Trixie Munyama venue de Namibie, la compagnie Kazyadance de Mayotte et deux figures centrales de la danse mozambicaine, Edna Jaime et Idio Chichava… pour nous convier à leurs prochaines créations.
Le festival s’est aussi tenu dans le théâtre Avenida fondé par le maître du polar nordique, le Suédois Henning Mankell qui, installé à Maputo, mit en scène de nombreux classiques du répertoire et aussi ses propres pièces, dont deux seulement sont traduites en français (Jean-Pierre Vincent monta l’une d’elles en France). Mankell vécut ici la dernière aventure de sa vie, son roman Comedia infantil raconte comment ce théâtre qui partage son entrée avec la boulangerie servit de refuge à des enfants des rues.
En Afrique, un peu partout, des festivals de danse sont apparus grâce au soutien des Instituts français qui sont de véritables espaces de création et de liberté. Hélas, beaucoup semblent au bord de l’asphyxie et nos gouvernements s’en désintéressent de plus en plus alors qu’ils sont bien souvent les seuls endroits où les jeunes du pays peuvent se retrouver, lire, voir des films ou des spectacles.
Jacques Blanc
Festival Kinani, du 21 au 26 novembre. Maputo, Mozambique. Compte-rendu.
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