Simon Delétang s’empare avec sensibilité de la pièce de Georg Büchner sur les heures noires de la Révolution pour la faire entrer au répertoire de la Comédie-Française.
La joyeuse sarabande d’un groupe de garçons et de filles portant tenues légères et masques de carnaval fait irruption sur le plateau. Danton est l’un de ces noceurs épris de fêtes se déroulant jusqu’au bout de la nuit. Ouvrant sur cette évocation dionysiaque qui dissout son ébriété dans les lueurs du petit matin, Simon Delétang rappelle les aspirations de Danton à une révolution de la liberté et du plaisir qui, à cette heure de bascule historique, s’oppose à la vision moraliste du chantre de la vertu qu’est Robespierre.
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À cinq jours de la décapitation de Danton, la pièce de Georg Büchner prend acte du compte à rebours tragique pour mesurer la somme des illusions perdues des aspirant·es à un monde libertaire face à l’avenir liberticide promis par les partisan·es d’un règne de la Terreur réclamant toujours plus de sang.
Manifeste de modernité
La Mort de Danton est écrite en 1835 et en cinq semaines par un étudiant allemand de 22 ans en révolte contre l’ordre établi. Fidèle au déroulé des événements, la pièce fait figure de manifeste de modernité en éclairant par l’intime les coulisses secrètes du drame historique. Ayant charge de l’entrée au répertoire de la Comédie-Française de l’œuvre de Büchner, Simon Delétang se fonde d’abord sur l’intime pour confier le rôle de Danton à Loïc Corbery et celui de Robespierre à Clément Hervieu-Léger.
“Je voulais explorer la façon dont l’amitié entre deux artistes de la Troupe pouvait nourrir la relation entre deux personnages de théâtre basés sur des personnalités historiques. Danton et Robespierre ont fini par être des ennemis mortels l’un pour l’autre mais ils avaient d’abord été des amis, précise Simon Delétang qui poursuit, lorsqu’on sait qu’à l’époque de la Révolution les membres de la Troupe ont failli êtres guillotinés ; de ce point de vue, je trouve ce rendez-vous entre une œuvre et une troupe particulièrement émouvant. »
Dans le décor d’un palais Grand Siècle
Pour faire entendre la beauté sidérante de la langue de Büchner, Simon Delétang mise sur l’effet de réel d’une pièce en costumes d’époque. C’est à la lumière des bougies et dans le décor du salon doré d’un palais Grand Siècle que le metteur en scène-scénographe inscrit son intrigue. Puisque le duel au sommet témoigne d’un moment où la Révolution est au point mort, le choix de ce lieu unique renforce avec justesse l’idée qu’une construction de l’Ancien Régime devienne l’étau qui condamne au pire ceux qu’elle emprisonne.
Pour Simon Delétang, “La Mort de Danton est aussi l’histoire d’une bande de jeunes gens qui vont se rapprocher les uns des autres dans la mort”. Il faudrait tous les citer, mais qu’il s’agisse de Julie Sicard en femme de Danton, de Gaël Kamilindi en Camille Desmoulins, de Lucile, sa femme, incarnée par Anna Cervinka ou du Saint-Just de Guillaume Gallienne et de Marina Hands impériale dans le rôle d’une grisette, chaque membre de la Troupe s’attaque à sa partition en s’accordant à ce théâtre de l’ici et du maintenant qui se fonde sur l’humain.
La Mort de Danton de Georg Büchner, traduction Jean-Louis Besson et Jean Jourdheuil, mise en scène et scénographie Simon Delétang, avec Loïc Corbery, Clément Hervieu-Léger, Marina Hands, Guillaume Gallienne… En alternance jusqu’au 4 juin, salle Richelieu, Comédie-Française, Paris.
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