Associée au mouvement des Chicago Imagists, Christina Ramberg déploie un imaginaire fétichiste et mécanique du corps féminin. Le Frac Lorraine l’expose en dialogue avec d’autres artistes hybridant le corps pour mieux l’émanciper.
Chez Christina Ramberg, on trouve des corsets aussi sophistiqués que des architectures, de longues nattes soyeuses et serpentines, des bandages enroulés avec un soin d’origamiste. Toutes les surfaces sont massives, laquées, soyeuses, luisant faiblement de l’éclat retenu du bois, patiné par le flux et le reflux des années, ou d’une carapace de scarabée exotique doucement iridescente. Rien ne dépasse, ne s’échappe ni ne bouge. Autant dire que peu d’éléments convoquent le règne organique, par définition imparfait, inégal, transitoire, en mouvement.
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Et pourtant, il s’agit bien, inlassablement déclinées, de variations autour du corps humain. Plus précisément : du corps féminin. A 49 Nord 6 Est – Frac Lorraine à Metz, l’introduction au travail de Christina Ramberg se fait par le biais de deux toiles de petit format. Datant toutes deux de 1971, elles offrent deux variations sur le motif récurrent du corset. Le cadrage serré autonomise le tronc, le coupe du reste du corps. A peine trouve-t-on encore l’indication stylisée d’une main aux ongles rouges ou la courbe d’un flanc vu de profil.
De sa palette sombre et sourde, elle imagine des vêtements-corps et des accessoires-organes
Quelques années plus tard, Christina Ramberg radicalise encore ces prémices. A partir du milieu des années 1970 sont définitivement gommées les suggestions qu’un corps de chair, et qu’une femme individuelle, puisse exister hors champ, indépendamment des ajouts de culture et de technique qui conditionnent sa manière d’apparaître. L’accessoire devient l’essence, la dentelle mange la peau, la pelote de cheveux tient lieu d’organe hors-sol.
Désormais, sa formule est en place. De sa palette sombre et sourde, elle imagine les hybridations possibles de vêtements-corps, accessoires-organes ou membres-meubles. Peu à peu, l’instrument de la contrainte révèle son potentiel émancipatoire. S’il est possible de sculpter le corps pour réaliser des normes arbitraires de beauté, il est donc tout aussi possible de s’approprier ces techniques pour s’extirper des déterminismes biologiques et essentialistes.
D’une part les œuvres de Christina Ramberg sont peu nombreuses, d’autre part elles circulent rarement
Née en 1946 et disparue prématurément en 1995, Christina Ramberg fut l’exacte contemporaine de Donna Haraway, et leurs œuvres respectives se nourrissent du même imaginaire. En 1984, lorsque la seconde publie son Manifeste cyborg, la première peint ses dernières toiles. Elle se détournera bientôt du médium, mais pendant un court instant leurs trajectoires furent parallèles, et leurs clairvoyances, alignées. On le sait peu, d’une part parce que les œuvres de Christina Ramberg sont peu nombreuses, d’autre part parce qu’elles circulent rarement.
De son vivant, elle n’était pas une inconnue. Elle fut exposée, elle enseigna. La plupart du temps cependant, sa réception retient surtout sa proximité avec le groupe des Chicago Imagists, mouvance de la fin des années 1960 caractérisée par l’intégration boulimique de sources vernaculaires, issues de la société de consommation naissante autant que des arts naïfs, folkloriques et traditionnels.
Ses œuvres amplifient, pluralisent et prolongent l’imaginaire
D’où la teneur d’une exposition qui se lit “à la fois comme une exposition monographique et collective, les deux dimensions coexistant côte à côte”, ainsi que l’exprime Anna Gritz, curatrice de la première exposition de l’exposition au KW Institute of Contemporary Art de Berlin, coproduite avec le Frac Lorraine et le BALTIC Centre for Contemporary Art de Gateshead (R-U). Des œuvres de Christina Ramberg, il y en a onze au total, isolées et magnifiées sur un fond coloré, et complétées par une salle de dessins.
Mais il s’agit également de la replacer dans une autre généalogie qui dépasse les écoles avérées pour l’ouvrir à un compagnonnage transhistorique. Autour de ce corpus viennent ainsi également s’agencer des œuvres de Ghislaine Leung, Gaylen Gerber, Diane Simpson, Richard Rezac, Konrad Klapheck, Ana Pellicer, Sara Deraedt, Senga Nengudi, Alexandra Bircken, Frieda Toranzo Jaeger et Kathleen White.
D’époques et de provenances diverses, la plupart en volume, ses œuvres amplifient, pluralisent et prolongent l’imaginaire de l’hybridation. A partir de Christina Ramberg s’écrit, on le constate, une généalogie quelque peu différente de celle qui essaime d’ordinaire autour de Donna Haraway.
Chez la première, il s’agit davantage de penser le sujet social que le vivant au sens large. Les questions d’autodétermination restent liées à la finitude humaine, à la contre-culture également, anticipant et appelant le traitement ultérieur de la question par les théoricien·nes Kathy Acker (culturisme), Chris Kraus (anorexie), Paul B. Preciado (prise de testostérone) et Helen Hester (innovations biotechnologiques au sens large).
Christina Ramberg en dialogue. The Making of Husbands jusqu’au 10 mai, 49 Nord 6 Est – Frac Lorraine, Metz
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