Le festival Les Giboulées à Strasbourg change le regard que l’on porte sur la marionnette – à fils ou numérique -, en faisant la démonstration de son pouvoir évocateur.
Sans nul doute, depuis qu’il est à la direction du TJP-Centre Dramatique National d’Alsace Strasbourg, l’artiste Renaud Herbin à changé le regard que l’on porte sur la marionnette en déclinant tout au long de sa saison ses aspects les plus contemporains et en renommant son projet Corps-Objet-Image ; mais aussi le festival Les Giboulées, dont cette année est la 26e édition, devenu désormais un rendez-vous incontournable de la découverte de nouvelles formes.
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La naissance d’une pensée politique inédite avec Bruno Latour
De nouvelles formes pour explorer de nouveaux mondes, tels que ceux dévoilés par le sociologue, anthropologue et philosophe Bruno Latour dans sa conférence-spectacle mise en scène par Frédérique Aït-Touati. Si à trop vouloir vulgariser on peut atteindre au vulgaire, ce n’est pas du tout le cas dans cette incroyable performance, Inside, du philosophe seul en scène, au cours de laquelle il décline sans céder à la facilité mais en célébrant joyeusement l’intelligence, des pans importants de sa pensée. Dans un avion le menant au Etats-Unis où il doit donner une conférence, Bruno Latour contemple la banquise et découvre dans ses formes un visage qui pourrait faire penser au Cri de Munch, dessinées sans aucun doute par la fonte des glaces et le réchauffement de la planète. Ainsi le performer conférencier “découvre” que l’on ne peut plus regarder le monde de l’extérieur, être ravi par le sublime, car il est lui-même à l’intérieur de cet avion parti prenante de la terrifiante beauté sous ses yeux exposée. Ainsi, dit-il, s’ouvrent à nous de nouveaux continents, on croyait le monde dans sa globalité entièrement découvert mais si désormais on pense le monde de l’intérieur, s’ouvrent à nous de nouveaux territoires où de la géologie nait une pensée politique inédite.
Le monde tel que l’a rêvé le communisme
Cette pensée de “l’intérieur”, cette découverte de nouveaux mondes, semble animer la programmation de cette 26e édition du festival. Le metteur argentin Mario Pensotti avec Arde Brillante en Los Bosques de la Noche questionne la globalité du monde tel que l’a rêvé le communisme sous un angle méconnu, le féminisme. Dans ce spectacle alliant marionnettes à fils, théâtre et cinéma, il déploie au travers du parcours d’une universitaire enseignant la révolution russe en quête de la figure emblématique d’Alexandra Kollontaï, une révolutionnaire soviétique et féministe, l’étendu des malentendus inhérent à toutes formes de militantismes s’entrechoquant les uns les autres à leur propre polarisation et ne souhaitant pas se questionner de l’intérieur ignorent et mécomprennent le nouveau monde dans lequel ils tentent de survivre.
Un pont entre anciens et nouveaux monde
Plus naïvement, en toute candeur en tout cas, les artistes suédois Sandrina Lindgren et Ishmael Falke, parcourent le monde en suivant un groupe de migrants dessinant à même leur corps les aléas et péripéties de leurs voyages. La fable est belle. Comme celle tentée par les frères Itzel et Silvio Palomo dans Appel d’Air, la persistance de la mémoire. Une errance plastique et abstraite sur les traces manquantes du passé. Seul hiatus, et de taille, de cette programmation de fin de festival, mais tellement à côté de la plaque que finalement il révèle d’autant plus la pertinence des autres spectacles, Noirs comme l’ébène, de David Girondin Moab, qui prétend revisiter le conte des frères Grimm Blanche Neige, et qui in fine crée un assemblage informe de kitscheries dignes d’un after show de Mylène Farmer.
Heureusement la très grande beauté d’Open the Owl, mis en scène par Renaud Herbin, un conte philosophique créée par la romancière Célia Houdart d’après un récit de Franz von Pocci et à l’invitation du théâtre de marionnettes de Ljubljana en Slovénie, jette un pont apaisant, en toute délicate intelligence, entre anciens et nouveaux monde.
Les Giboulées, Biennale internationale corps-objet-image, du 16 au 24 mars, Strasbourg & Eurométropole
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