Porté par un théâtre de texte mêlant le politique et l’intime, le festival a offert à ses acteurs des partitions d’exceptions pour faire briller visions contemporaines et remettre au goût du jour le répertoire.
Si l’on devait mettre en lumière une ligne de force de cette 73e édition du Festival d’Avignon à mi-parcours, à l’évidence, qu’il s’agisse d’écritures contemporaines ou du répertoire, c’est la puissance des acteurs mise en avant pour défendre le texte qui force l’admiration. Pascal Rambert donnait le ton dès l’ouverture dans la Cour d’honneur avec sa pièce Architecture en offrant à sa troupe hors pair des partitions sur mesure, témoignant d’un alliage troublant où l’imaginaire de ses personnages se nourrit d’une connaissance intime de chacun de ses comédiens.
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Resteront à jamais inscrites dans nos mémoires les images de Jacques Weber en patriarche irascible, formant un couple quasi incestueux avec Marie-Sophie Ferdane, sublime en femme libre, qui pourrait être sa fille. Dans cette famille dysfonctionnelle, trois de ses enfants vivent en couple, bizarrement appareillés.
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Denis Podalydès (en alternance avec Pascal Rénéric) est avec Audrey Bonnet ; Emmanuelle Béart est avec Arthur Nauzyciel et Anne Brochet, avec Laurent Poitrenaux. Seul Stanislas Nordey demeure solitaire, conscient de ne pouvoir vivre en pleine lumière avec l’homme qu’il aime. Tous sont fabuleux. Leur engagement au service de ce spectacle est total. Architecture fera date en ciblant avec une grande élégance les bégaiements d’une histoire qui présage le pire pour demain.
Réveiller les fantômes familiaux
Avec Points de non-retour (Quais de Seine), Alexandra Badea témoigne elle aussi de la volonté d’écrire et de mettre en scène l’histoire, celle d’individus broyés sur plusieurs générations par la surenchère de violence entre la France et l’Algérie. Hasard des résonances, c’est elle qui, en citant Robert Musil dans L’Homme sans qualité, cristallise le propos de Pascal Rambert tout en résumant sa propre feuille de route : “Il faut sans doute que les individus soient déjà une architecture pour que l’ensemble qu’ils composent ne soit une absurde caricature.”
Mêlant les strates temporelles, le prétexte d’une thérapie réveille des fantômes familiaux qui se déchirent. Là encore, Amine Adjina (Younès), Madalina Constantin (Irène), Kader Lassina Touré (le thérapeute) et Sophie Verbeeck (Nora) sont stupéfiants. Sans oublier Alexandra Badea, qui affirme sa présence d’auteure vivante en apparaissant sur le plateau pour rédiger en direct le texte du prologue à découvrir sur un écran.
S’emparant du répertoire avec Pelléas et Mélisande, Julie Duclos donne chair au symbolisme de Maurice Maeterlinck pour faire entendre comme jamais l’à fleur de peau des passions. Vincent Dissez incarne avec génie la dangereuse bipolarité du prince jaloux Golaud, tout comme Matthieu Sampeur et Alix Riemer cristallisent avec sensualité l’amour charnel entre Pelléas et Mélisande pour révéler une vérité des corps dont la source est l’acteur.
Le choc Jatahy
Côté international, l’autre grand choc est signé par Christiane Jatahy dans une proposition qui mêle cinéma et théâtre. Avec O agora que demora – Le présent qui déborde, notre Odyssée II, l’artiste brésilienne a été à la rencontre d’acteurs ayant un statut de réfugié aux quatre coins de la planète pour associer les périples d’Ulysse à leur condition de migrants en tirant un fil qui relie le réel et la fiction. Ce dialogue bouleversant entre le présent du théâtre et les images du film fait qu’il n’est pas un soir où le spectacle n’ait été acclamé debout par le public.
Ombre au tableau, la découverte du premier spectacle venu de Chine à Avignon avec La Maison de thé mis en scène par Meng Jinghui s’est soldée par une solide déception. Une scénographie inutilement pléthorique et une direction d’acteurs hystérique passent tristement à la moulinette une œuvre essentielle de Lao She. On se rattrapera sans aucun doute avec la chorégraphe pékinoise Wen Hui, que l’on suit depuis des années et qui présente à la fin du festival Ordinary People, cosignée avec la Tchèque Jana Svobodová.
“Outside” de Serebrennikovn une ode à la beauté, à la sexualité et à la résistance
Notre grande attente concernait Outside de Kirill Serebrennikov en hommage au photographe chinois Ren Hang. L’artiste, toujours privé de passeport, n’a pas pu venir à Avignon. Mais la liberté dont témoigne sa création nous laisse totalement bouleversés. Revue nue d’une élégance sans pareille, l’hommage à Ren Hang est une ode à la beauté, à la sexualité et à la résistance. Un cocktail explosif d’une tendresse infinie.
Festival d’Avignon jusqu’au 23 juillet
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