Dans la nuit du 4 au 5 juillet, le Festival d’Avignon organisait une manifestation spontanée dans le Palais des papes, afin de prouver qu’en cas de victoire du RN dans les urnes, le monde de la culture serait le fer de lance contre l’extrême droite.
Les nuits avignonnaises sont plutôt courtes ; celle-ci fut carrément blanche. Moins théâtrale que d’habitude, mais enthousiasmante et festive.
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Rappel des faits : après le premier tour des élections législatives anticipées dont les résultats laissaient présager la formation d’un gouvernement d’extrême droite, le directeur du festival Tiago Rodrigues et plusieurs organisations syndicales, dont la CGT Spectacle et le Syndeac, ont organisé cette Nuit d’Avignon dans le lieu emblématique de l’événement, la cour d’honneur du Palais des papes.
Au programme : musique, danse, et interventions de guests d’une impressionnante diversité, de Boris Charmatz à Corinne Masiero, de Joey Starr à Clément Viktorovitch. “Une nuit d’union, une nuit de mobilisation, une nuit populaire pour contrer l’inéluctabilité supposée de la victoire de l’extrême droite”, indiquait un communiqué du festival publié ce lundi.
Haka géant
La prochaine bataille contre l’extrême droite aura bien lieu sur le champ de la culture ; ses acteurs devaient prouver leur capacité à s’organiser rapidement, montrer leur force et leur unité. Ce rassemblement avait moins l’allure d’une manifestation politique qu’un haka géant.
À minuit trente, le parvis du Palais des papes est noir de monde. Palais qui se vide, après la représentation de DÄMON, d’Angélica Liddel. Et qui se remplit aussitôt, dans la clameur des “Siamo tutti antifascisti !” Des jeunes, des moins jeunes, et des plus jeunes du tout. Des hordes de journalistes accrédité·es, et un service de presse en émoi. Parce que ça s’échauffe, et ça se bouscule. Parce que tout le monde veut en être, et comme le dira l’un des intervenant·es : “Parce que ce soir, tout le monde nous regarde.”
Du bruit et de la beauté
La voilà, la cour d’honneur. Celle qui, comme le rappellera Boris Charmatz, incarne notre patrimoine (cher au RN), mais accueille chaque été les créations venues du monde entier (moins chères au RN). Autour de la scène, les danseur·ses amateur·rices et professionnel·les du chorégraphe-directeur du Tanztheater Wuppertal justement ; celles et ceux qui portent le spectacle CERCLES depuis le début du festival. Tenues bariolées. Corps éclectiques. Qu’ils et elles sont beaux et belles, ces danseur·ses ! Pas tout à fait synchronisé·es, et pourtant si coordonnée·es dans leur dessin collectif ; on pense à ces essaims de poissons argentés qui illuminent les fonds marins.
Et puis, il y a Joey Starr, qui déclame des textes de Léon-Gontran Damas. Et quand Joey Starr déclame des textes de Léon-Gontran Damas, ça gronde, ça zonzonne, et ça fait tellement de bruit ! L’artiste nous rappelle Christiane Taubira qui, avant lui, déclamait : “Nous les peu, nous les rien, nous les chiens, nous les maigres, nous les Nègres”, du même Léon-Gontran Damas dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, à l’occasion de la bataille pour le mariage pour tous. C’était il y a onze ans (une éternité).
Démonstration de force
On se met debout. On danse. “Marine à poil !” On se marre. La CGT Spectacle prend la parole. Il·elles sont 50, ou 100. Il·elles ont des drapeaux. Et re “Siamo tutti antifascisti !” Dans l’immensité de la cour, il·elles nous évoquent ces manifestant·es de Sempé, croqué·es avec affection (dessins publiés dans le recueil Quelques manifestants, chez Denoël).
Il y a les membres de Rosmerta, qui dirigent un lieu d’accueil pour mineur·es isolé·es et famille en exil. Il y a les danseur·ses de l’Argentine Lola Arias, cisgenres, transgenres, travailleur·ses du sexe, chauffeur·ses de taxi, ancien·nes détenu·es. Il y a le directeur, Tiago Rodrigues, magnifique chef d’orchestre de cette nuit inédite, qu’il dirige humblement, et justement. Et il y en aura tant d’autres, jusqu’à l’aube : Alexis Michalik, Andréa Bescond…
Bien sûr, improvisation oblige, certaines interventions replongent celles et ceux qui firent leurs classes sur les bancs de l’université de Tolbiac pendant le CPE. Qu’importe. Une fois encore, l’objectif était une démonstration de force. Cette nuit-là, le monde de la culture a prouvé qu’il savait s’organiser rapidement et dans la joie, qu’il savait inclure les un·es et les autres dans un combat commun.
Il ne s’agit pas d’être naïf·ve. Il ne s’agit pas d’imaginer que cette résistance aura lieu sans violence de l’extrême droite, à l’encontre des étranger·ères, des racisé·es, des minorités, et des pauvres. Mais cette résistance aura bien lieu. Et soyons-en sûr·es : elle sera féroce.
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