À Lafayette Anticipations, cette ambitieuse fresque transhistorique aborde le rituel, le sacré et la recherche de pratiques artistiques palliatives à travers les âges, les époques, les domaines de la création.
On assiste, depuis quelques années déjà, à l’émergence d’un ésotérisme TikTok. Une partie de la génération Z, qui a grandi dans un monde aux horizons de futur bouché, embrasse la réparation palliative : astrologie semi-ironique, cristaux pour influenceur·ses, bien-être au branding impeccable.
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Avant, le capitalisme vendait des modes de vie ; désormais, le marché le plus lucratif serait le mieux-être. Dans le monde de l’art également, les expositions reflètent comme symptôme cet état d’esprit. À Lafayette Anticipations, le panorama du printemps est placé sous les auspices de l’Au-delà, son titre.
Au fil de trois étages plongés dans la pénombre, la curatrice invitée Agnes Gryczkowska a assemblé une quarantaine d’œuvres. Cependant, il s’agit de regarder plus loin que l’hyperprésent connecté et, plus précisément, d’invoquer les rituels ancestraux pour les faire résonner avec l’ici et maintenant selon une opération de remontée mnésique.
Alors, cela donnera, agencé comme les notes d’une composition, un ensemble hétéroclite : objets sacrés (idoles cycladiques ou stèle punique, manuscrit de la guérisseuse du Moyen Âge Hildegard von Bingen), canon moderniste élargi (Wifredo Lam, Ana Mendieta), artistes obsessionnel·les encore confidentiel·les d’Europe de l’Est (TARWUK, Janina Kraupe-Swiderska, Anna Zemánková) et jeunes artistes plutôt issu·es du circuit du monde de l’art globalisé (Korakrit Arunanondchai & Alex Gvojic, Tau Lewis ou Tobias Spichtig et, pour la scène française, Bianca Bondi, Jeanne Vicerial ou Christelle Oyiri).
On pense chez les jeunes artistes, et surtout depuis les foires, à la vogue d’un surréalisme zombie
Dans l’ensemble, le panorama reflète l’engouement, dans les institutions occidentales, pour des figures d’une alter-modernité : on pense plus largement aux succès récents d’artistes pionnières d’une alter-abstraction comme Hilma af Klint (1862-1944) ou Emma Kunz (1892-1963). Mais aussi, chez les jeunes artistes, et surtout depuis les foires, à la vogue d’un surréalisme zombie : pour prendre un exemple au sein d’Au-delà, Alicia Adamerovich.
Besoin de réparation
L’exposition a pour mérite de coller à l’esprit de l’époque, et d’en proposer une reformulation ambitieuse. Reste qu’une certaine homogénéisation nivelle les contextes d’élaboration et les statuts des artefacts, et l’on en viendrait presque à croire, au niveau de l’esthétique dominante, que l’inconscient de chacun·e ressemblerait forcément à un tableau surréaliste, où les mondes intérieurs se vivraient par les mêmes images à l’abstraction serpentine.
Depuis les expositions, le constat serait donc que le repli sur soi gagne du terrain
À trop vouloir retrouver du commun, voire de l’universel, à travers le rituel, le péril est de passer à côté des tensions entre subjectif et social, individuel et historique, humain et technologique. Ces rapports plus situés existent néanmoins : pour prendre deux exemples, Matthew Angelo Harrison intègre la production industrielle des masques africains à l’histoire coloniale du fordisme américain, et Ivana Basič convoque un techno-chamanisme abordant de front la matière synthétique d’un monde post-naturel par une sculpture dardant ses tiges de mise à terre magnétiques.
Depuis les expositions, le constat serait donc que le repli sur soi gagne du terrain : en 2020-2021, l’exposition collective Possédé·e·s au Mo.Co. Panacée à Montpellier faisait de l’ésotérisme une arme de résistance pour les corps genrés, racisés, politisés. En une poignée d’années et avec Au-delà, le besoin de réparation pourrait se lire comme l’avancée d’un marasme individualiste oublieux des structures sociétales d’oppression.
Au-delà – Rituels pour un nouveau monde à Lafayette Anticipations, Paris, jusqu’au 7 mai.
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