L’artiste allemande colore les espaces avec ses installations monumentales et immersives.
Entre un acte de foi absolu envers les potentialités de la peinture et un geste de défiance à l’égard de sa réduction à l’espace d’une toile, Katharina Grosse a renouvelé l’usage et les fonctions de cet art de la couleur depuis les années 1990. L’artiste allemande a déplacé la visée même de la peinture, la sortant du cadre de manière littérale et métaphorique, pour la faire vibrer in situ sur des surfaces qui nous entourent, nous enveloppent, nous protègent. D’un lit à un sol, d’un livre à un drap, chaque objet devient chez elle le réceptacle d’une pulsion picturale, d’un jet de couleur vaporisé au pistolet industriel.
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Invitée par Chiara Parisi, directrice du Centre Pompidou-Metz, à s’infiltrer au sein du bâtiment de Shigeru Ban – du parvis à la Grande Nef en passant par le Forum –, Katharina Grosse donne la mesure de l’ampleur de son geste artistique, confrontant les visiteur·ses à une étrange expérience de la peinture, immersive, organique, déplacée. Comme si on pouvait la traverser physiquement plus encore que la contempler. Le corps plonge en elle et se baigne dans ses effluves pigmentés. “Je suis à la recherche d’une peinture qui soit en contact avec le corps, qui s’adresse à l’ensemble de l’intelligence corporelle et qui puisse apparaître dans toutes les fibres de notre être”, confie l’artiste, formée dans les années 1980 dans les couloirs conceptuels des Beaux-Arts de Düsseldorf.
Au Centre Pompidou-Metz, on marche de fait sur sa peinture, projetée sur le parvis où rayonnent des courbes et des lignes colorées ultra-pop (jaune, vert, rouge). On les perçoit, en transparence, depuis l’intérieur du bâtiment, dans une continuité entre le dedans et le dehors. On respire et on touche aussi sa peinture, marchant parmi ses immenses drapés au cœur de la Grande Nef. Conçue à l’origine pour le centre d’art Carriageworks à Sydney, son installation spectaculaire nous embarque dans un paysage féérique, sur une étoile lointaine, où l’on erre parmi des draps colorés suspendus au plafond, à vingt mètres de hauteur. Une pure expérience de vertige intérieur procédant autant de la sculpture de l’espace que de la peinture de la surface drapée.
La peinture et la sculpture fusionnent en quelque sorte chez Katharina Grosse, comme elle le suggère dans son autre installation abritée au cœur du Forum, The Bedroom, créée en 2004 dans son appartement de Düsseldorf, où elle décida de peindre son lit, ses draps et ses livres en vrac. Un désordre domestique réordonné dans une forme sculpturale cohérente et colorée, qui cueille le·la visiteur·se dès son entrée dans le bâtiment. L’espace privé, métamorphosé par la couleur, devient un paysage que l’on contemple comme une toile abstraite.
“Mon lit a été la première chose que j’ai peinte à la bombe, livre l’artiste. Le lit est en effet une pièce totalement archétypale – tout le monde sait ce que c’est, ce qui se passe quand on se couche, quand on rêve. Pour ce travail, j’ai identifié une situation élémentaire très spécifique que nous connaissons et partageons tous.” Aspiré·es par son lit bariolé, flottant dans ses drapés tentaculaires comme on flotte dans un rêve dont l’ode à la couleur serait le point de fixation, on perçoit dans sa façon flamboyante de tourner autour du pot (de peinture) que Katharina Grosse brouille tout : l’espace et la surface, la peinture et l’architecture, la couleur et la matière. Sans frontières, libérée des châssis, sa peinture s’arrache à elle-même pour troubler les espaces et colorer le monde.
Déplacer les étoiles de Katharina Grosse au Centre Pompidou-Metz, jusqu’au 24 février 2025.
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