La 18e édition du Festival Hors Pistes, consacrée aux images du présent, plonge dans le tournant amateur de la documentation de la guerre. Et si l’on ne pense, rêve et se relie qu’en images, alors les jeux vidéo et les jeux de rôle sont également convoqués pour tenter de répéter ces images de paix qui manquent encore à la représentation.
Il a souvent été relevé que la théorie des médias est adossée à une théorie de la guerre. Électroniques, informatiques, cybernétiques : les différentes images produites par les médias techniques accompagnent comme sa matrice la représentation du conflit.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Après tout, Arpanet, l’ancêtre d’Internet, a été développé par l’armée américaine. Et nombreux sont les ouvrages à se pencher sur le complexe militaro-industriel qui conditionne nos technologies de vision – à l’instar du dernier pamphlet alarmiste de l’historien de l’art Jonathan Crary, Scorched Earth (2022). On pourrait donc, plus largement, énoncer que penser le numérique, c’est toujours se pencher implicitement sur la fabrication des imaginaires de la guerre.
Reportage, fiction et jeu vidéo
“La 18e édition du Festival Hors Pistes part de la guerre en Ukraine tout l’élargissant au tournant visuel qui a été initié à partir des ‘Printemps arabes’ en 2010”, recontextualise Géraldine Gomez, chargée de la programmation du festival annuel dédié aux nouvelles images. “Cela concerne un témoignage qui, dès lors, est aussi pris en charge par les images des amateur·rices, qui filment avec leur smartphone et diffusent les images en temps réel sur les réseaux sociaux.”
Alors, les registres d’images qui peuplent l’exposition centrale, augmentée d’une programmation de projections, tables rondes et conférences, adoptent l’intervalle du reportage, de la fiction et du jeu vidéo. Autour de la table des négociations, le dispositif central qui accueillera, dans le même espace, les intervenant·es et le public, amorce une réflexion sur le “post-documentaire”.
Le terme est celui qu’emploie, à propos des témoignages de civils, Émeric Lhuisset, artiste et chercheur. Son installation centrale multipartite déploie plusieurs registres de ces nouvelles manières de faire icône et histoire, à partir de l’Ukraine et en dehors du filtre des commandes des médias.
Des pixels et du sensible
Par exemple, la décomposition, attachée à ce qui fait preuve, instant décisif et vérité d’une fameuse photographie d’un ukrainien arrêtant un char russe à mains nues : un cliché du genre, jalonnant tous les conflits. Ici, l’artiste décompose l’image, retourne sur place, lui rend sa portée contextuelle, manière de lutter contre la désensibilisation, soit la part sombre tramée d’oubli des images symboliques.
Au fil des huit artistes rassemblé·es dans l’exposition, chacun·e s’emploie à faire saillir des problématiques sociologiques plus larges formulables à partir d’images contemporaines parfois trouvées au sein du flux, parfois à peine transies car en génération permanente. Là, dans les salles sombres, le sujet est la fabrication du sensible : la vie nue est réinterrogée par le prisme du numérique.
Thibault Brunet se livre, accompagné de trois chercheuses, une anthropologue, une géographe et une juriste, à une exploration scientifique au sein du jeu en ligne Minecraft. Chacune parcourt cette terre vierge numérique et décortique les ressorts qui conditionnent la relation ami et ennemi ou qui dessine des frontières et partage les terres.
Artiste et chercheuse en études de la guerre, Hélène Mutter livre une installation vidéo consacrée à un type de représentation bien précis : les photographies de couchers de soleil prises par les militaires en zone de guerre. Dans les archives de la Défense, elle est ainsi venue prélever un échantillon de trente ans de conflits, pour mettre en exergue les moments interstitiels d’attente, de deuil et d’espoir dans un éternel recommencement.
“Il y a autant de représentations de la paix que d’individu·es”
Autre exemple, autre registre narratif : les “tractations” du film et de l’installation sonore née de la collaboration d’Arnaud Dezoteux et Celsian Langlois. Au sein d’un jeu de rôle grandeur nature, dit mass-LARP, ils extraient les moments volés de banal, de polyphonie et de tâtonnements arrachés à une double scénarisation : la trame narrative du jeu et les négociations de paix.
Car Géraldine Gomez le souligne : la paix est tout autant affaire de fabrication médiatique et imaginaire. “Si elle est confiée à des négociateurs issu·es d’entreprises privées, les images, également, en font défaut : il y a autant de représentations de la paix que d’individus. Serait-ce parce que l’on manque d’images fédératrices de la paix que l’on ne parvient pas à la faire ?”
18e édition du Festival Hors Pistes. Voir la guerre et faire la paix, jusqu’au 19 février au Centre Pompidou à Paris.
{"type":"Banniere-Basse"}