Loin de toute polémique sur la création contemporaine, Charles Berling, Jean-Pierre Darroussin et Alain Fromager redonnent à “Art” de Yasmina Reza sa dimension de chronique d’une amitié qui s’effiloche.
Quand les guillemets sont pris pour des pincettes. Réveillant l’éternelle querelle des Anciens et des Modernes, voilà bientôt un quart de siècle que la polémique ne cesse de rebondir à propos de la plus célèbre des pièces de Yasmina Reza. Avec “Art”, et en faisant usage de ces fameux guillemets, l’auteure savait qu’elle jouait gros en s’amusant d’un casus belli, à savoir qu’une œuvre d’art contemporain pourrait être capable de briser l’amitié d’une triplette de vieux garçons qui se croyaient inséparables.
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Attribué à un certain Antrios, son pavé dans la mare a la forme d’une toile de 1,60 m par 1,20 m entièrement peinte en blanc. Serge l’a achetée, Marc estime qu’il s’agit d’une “merde” et Yvan fait figure de punching-ball quand l’un comme l’autre lui reprochent son incapacité à arbitrer leur différend.
Se défendant une nouvelle fois d’avoir été mal comprise, Yasmina Reza précise dans le programme de salle du Théâtre Antoine : “Le débat sur l’art contemporain, autour duquel s’articulait la dramaturgie, n’était qu’un prétexte ; certes pas pris au hasard, avec une portée symbolique volontaire, mais qui n’avait rien à voir avec l’essentiel du propos. Ce n’était ni une réflexion sur cette question qui dans ce cas aurait été très sommaire, encore moins une parodie, ce n’était tout simplement pas le sujet.”
Jean-Pierre Darroussin proche de Bourvil
Après avoir mis le feu aux poudres de la discorde lors de sa création de la pièce – avec Pierre Vaneck, Fabrice Luchini et Pierre Arditi –, on était curieux de savoir si Patrice Kerbrat allait réussir à rectifier le tir avec cette nouvelle mise en scène – réunissant Charles Berling, Jean-Pierre Darroussin et Alain Fromager. Dans “Art”, tout se joue sur le fragile équilibre des plateaux d’une balance où agiter le chiffon rouge de l’art contemporain pèse souvent plus lourd que donner chair à la chronique microscopique d’une complicité qui s’effiloche entre les murs d’un salon. Rien de neuf au regard des costumes et pas plus pour le décor. Force est pourtant de constater que le fléau penche aujourd’hui si largement du côté du pugilat amical qu’on en arrive presque à oublier l’origine de leur controverse.
On jubile à l’à fleur de peau des énervements de Charles Berling (Marc), on s’amuse des blessures à l’âme d’Alain Fromager (Serge) et on craque littéralement pour l’interprétation de Jean-Pierre Darroussin (Yvan), qui éclaire la transparence de son personnage d’une manière si intime qu’il nous rappelle le génie d’un Bourvil. Œuvrant chacun magnifiquement à la démonstration que ces trois-là ne connaissent définitivement rien à l’art, l’affaire des guillemets peut enfin être enterrée.
“Art” de Yasmina Reza, mise en scène Patrice Kerbrat, avec Charles Berling, Jean-Pierre Darroussin et Alain Fromager. Jusqu’au 17 juin, Théâtre Antoine (Paris Xe)
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