Malgré le marasme berlusconien, la jeune scène artistique affiche une vitalité étonnante. Chronique d’un paradoxe.
A côté des stands des galeries, et donc hors-commerce, le directeur d’Artissima a fait installer une immense architecture tout en matériaux recyclés pour accueillir des expositions sur la danse, le cinéma ou la littérature : « C’est un musée éphémère et un peu rêvé, ouvert à toutes les disciplines et à leur mélange comme il n’en existe pas en Italie. » De quoi donner l’exemple.
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« En vérité, la situation a contraint les artistes italiens à adopter la stratégie du « Do it yourself », commente Andrea Villani, le récent directeur de la Galleria Civica di Trento, l’une des rares institutions à parier sur l’art contemporain. Mais déjà dans les années 1980-1990, on a vu se développer des modèles d’autogestion alternatifs pour compenser le manque de structures. »
Alessandro Rabottini souligne que « l’initiative de la plupart des projets ambitieux et défricheurs vient de professionnels un peu singuliers mais jamais de l’Etat. Cette créativité individuelle représente d’ailleurs notre meilleur et pire avantage ».
Comme plus personne n’attend rien de l’Etat, la cartographie des lieux d’art s’est décentrée et clairsemée : à Milan, les galeries privées les plus intéressantes ; à Turin, les institutions publiques ; à Rome, les fondations privées les plus fringantes (la Fondazione Giuliani et la Nomas Foundation) ; à de petites villes comme Bergame, Trente ou Modène, les espaces dédiés à des expos plus expérimentales et plus sophistiquées.
Un refus de la fête et du spectaculaire
Reste une autre particularité de la jeune scène artistique à laquelle le Magasin, à Grenoble, offre une pleine exposition : son goût marqué pour un art qui refuse résolument la fête et le spectaculaire. Tout cela a émergé avec la crise économique de 2008. Il faut dire qu’après vingt ans de téléthéo-gérontocratie berlusconienne et d’échecs politiques de la gauche, ces artistes semblent avoir pris le large, dans leurs vies comme dans leurs oeuvres.
S’il faut chercher une dimension politique à leurs travaux, forts d’un repli sur soi et d’un réel intellectualisme, profondément influencés par le cinéma et l’esprit de Pasolini, c’est de manière éloignée, indirecte, à travers des attitudes et des formes plus subtiles que littérales. Comme ce bloc de confettis blancs posé à même le sol du Magasin par l’excellente Lara Favaretto : bloc dur et compact mais qui s’effrite avec le temps. Pas de miracle à l’italienne, pas de carnaval de Venise à attendre d’une pièce résolument froide.
Pendant ce temps, un artiste plane au-dessus de l’Italie de tout son génie indécent : Maurizio Cattelan. En partant à New York très tôt, en jouant avec le marché de l’art de manière effrontée et quasi cynique, le plus intrépide des artistes italiens a donné l’exemple aux jeunes générations : fini le temps des groupes, place aux stratégies individuelles.
Un salut romain… auquel il ne reste plus qu’un doigt
Mais il est bien difficile de se placer sous sa tutelle, et l’on comprend que derrière lui les artistes explorent d’autres voies qu’un art aussi provocant et spectaculaire. Sa dernière frasque, énorme, a encore fourni l’occasion d’un intense débat public. Cattelan a placé devant la Bourse de Milan la sculpture d’une immense main qui fait le salut romain. Mais les doigts sont coupés : il ne reste plus que le majeur au milieu de la main, tel un énorme » fuck » adressé aux traders milanais. A moins que l’oeuvre ne dise au contraire à quel point la Bourse nous la met tous bien profond.
Scandalisé, le directeur de la Bourse de Milan a demandé au maire le retrait de cette sculpture éphémère. Cattelan a proposé de l’offrir à la ville si la statue restait en place. Un cadeau empoisonné d’un million d’euros mais qui ne se refuse pas. Cattelan use de son pouvoir d’artiste et de sa valeur marchande pour imposer durablement sa sculpture prodigieusement infamante et critique dans l’espace public. Bravissimo
Exposition Sindrome italiana jusqu’au 2 janvier 2011, au Magasin de Grenoble.
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