Le Festival d’Avignon débute cette semaine avec la nouvelle création de Pascal Rambert, Architecture. L’auteur et metteur en scène a réuni neuf actrices et acteurs d’exception pour une pièce qui, de 1910 à 1938, sillonne un continent contaminé par la montée des nationalismes et du nazisme.
L’histoire de Pascal Rambert avec le Festival d’Avignon est, selon ses propres mots, “extraordinaire”. Elle commence en 1989 avec la création des Parisiens, à l’invitation d’Alain Crombecque. Un spectacle de neuf heures qui réunit, déjà, une famille élargie dont il sonde les désirs secrets en plaçant à sa tête un patriarche savoureux, joué par Jean-Paul Roussillon dans un mas perdu dans la garrigue. Suivront le fameux champ de tournesols de Gilgamesh en 2000, à l’invitation de Bernard Faivre d’Arcier, le controversé After/Before (2005), lors d’une édition signée par Vincent Baudriller et Hortense Archambault, suivie de l’homérique scène de rupture de Clôture de l’amour (2011), qui connaît aujourd’hui encore un succès planétaire.
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“Etre avec des gens que j’aime est ma principale motivation”
Trente ans plus tard, c’est dans la Cour d’honneur qu’il crée Architecture, une saga qui démarre en 1910 et se termine avec l’Anschluss en 1938 en ciblant l’Europe pour en épouser la macabre décomposition politique et intime. « Architecture, c’est un monde qui tient debout et qui s’effondre. Tout ce que l’on croit être structuré, architecturé, là pour 2000 ans, est menacé, comme nos propres corps, de destruction. Ces gens qui sont architecte, philosophe, compositeur, psychologue, éthologue finissent à genoux. Je mets en place des gens brillants qui, malgré leur structure intérieure, sont broyés par le siècle qui avance et qu’ils n’ont pas été capables de stopper. La pensée, la raison n’ont pas empêché l’arrivée du nazisme. La pièce raconte l’échec du langage à lutter contre ça. »
Mais que représente le fait de concevoir un spectacle pour la Cour d’honneur ? « C’est une joie immense. J’y suis allé pour la première fois quand j’avais 21 ans pour voir Nelken de Pina Bausch, en 1983, et j’ai pleuré. L’émotion que j’ai ressentie m’aura porté toute ma vie, ça aura été un immense déclencheur de l’art du théâtre, de la façon de le réfléchir, de penser la place du corps avec mes acteurs, de mon envie de chorégraphier et de travailler avec des danseurs. »
Architecture réunit une distribution hors pair qui avec Pascal Rambert se légitime par un retour sur images vers des affinités électives très sélectives. « J’ai une histoire très longue avec tous les acteurs d’Architecture. Ce sont tous des acteurs pour qui j’ai déjà écrit, à l’exception de Jacques Weber et d’Anne Brochet, qui a remplacé au dernier moment Marina Hands, suite à un empêchement pour des raisons personnelles. Il y a une histoire par personne et entre eux aussi. Un paysage affectif, si j’ose dire, l’idée d’un arrière-pays nous réunit. Etre avec des gens que j’aime est ma principale motivation. Le fait d’écrire pour eux change beaucoup de choses, ça scelle quelque chose en nous, un peu comme une lettre. Et l’adresse à un acteur, ce n’est pas rien, c’est un contrat carné. Ça a à voir avec la chair. »
Famille artistique
Comme il le raconte dans un livre réalisé avec Laure Adler (Mon cœur mis à nu, à paraître le 5 juillet), faire du théâtre pour Pascal Rambert est un processus qui démarre dans la vie, par la rencontre avec une personne et le désir de la projeter sur une scène.
Avec Stanislas Nordey, ils se connaissent depuis le début des années 1990. « Notre rencontre date de sa sortie du Conservatoire. Je me disais : ‘Qui est ce jeune homme brillant, sublime ?’ J’ai su d’emblée que Stan, ça serait pour la vie. C’est un être pur. J’ai rarement rencontré quelqu’un comme ça. Il ne connaît pas la mesquinerie. C’est très rare. Je crois que si on s’aime beaucoup, c’est qu’on a, comme avec Denis Podalydès, un amour absolu de l’art que l’on pratique. »
Emmanuelle Béart et lui ont joué la première fois ensemble en 1992. Jean-Pierre Vincent les avait mis en scène dans On ne badine pas avec l’amour. « Elle jouait Camille, je jouais Perdican, et ça a créé entre nous des liens très forts. J’aime sa voix profonde, son sens des textes. Elle a une capacité de profond tragique et par moments d’extrême légèreté. Elle est très solaire et sexuelle dans son rapport au monde. C’est une Méditerranéenne comme moi, on a besoin de cette solarité très forte. »
La rencontre avec Audrey Bonnet a eu lieu en 2000, au cours d’une master class qu’il donnait au Théâtre national de la Colline pour découvrir des acteurs. « Ça fait maintenant vingt ans qu’on travaille ensemble. Audrey, c’est ma sœur en fait. Et comme un frère et une sœur, on s’oppose en tout et on se retrouve, elle sur le plateau, moi qui la regarde. Elle qui se tait beaucoup, moi qui parle toujours trop. »
« Ce qui me lie vraiment à Jacques (Weber), c’est un désir à travers le temps » Pascal Rambert
Autre rapport fusionnel, celui qui le lie à Denis Podalydès qu’il tient comme le plus grand acteur français actuel et dont il pense qu’il peut tout jouer. « Denis est pour moi au sommet de son art. Et c’est une tellement belle personne. Je lui écris à chaque fois des trucs toujours plus compliqués, comme à Stan (Stanislas Nordey – ndlr), c’est une sorte de sport entre nous, et chaque fois, dès la première lecture, ils descendent ces textes que je leur ai écrits comme sur une piste de bobsleigh. Ils arrivent les premiers en bas. Je suis toujours étonné. »
Jacques Weber, fait partie des monstres sacrés que l’on ne saurait que désirer. « Je le connais depuis une trentaine d’années, et depuis je veux travailler avec lui. Même s’il y a trente ans on pouvait être très éloignés sur le théâtre que l’on aimait l’un et l’autre. Ce qui me lie vraiment à Jacques, c’est un désir à travers le temps. »
S’agissant d’Arthur Nauzycel, il le considère comme son meilleur ami depuis une dizaine d’années : « Je trouve qu’il a un rapport non pas de metteur en scène mais d’artiste à chaque pièce qu’il fait. Quand j’ai vu sa mise en scène de Jan Karski de Yannick Haenel, j’ai tellement aimé ce spectacle que je lui ai proposé de jouer une pièce qui s’appelle De mes propres mains, puis viendra L’Art du théâtre.«
« J’aime les actrices indomptables »
A la croisée de deux familles artistiques, les acteurs des mises en scènes d’Arthur Nauzyciel vont migrer vers celles de Pascal Rambert. Le choc de la performance de Laurent Poitrenaux dans Jan Karski, lui fait dire : « Laurent, c’est un peu comme Denis, ce sont des acteurs protéiformes. C’est presque des acteurs-orchestres. C’est juste phénoménal. » Idem pour Marie-Sophie Ferdane qui jouait dans La Mouette de Tchekhov mis en scène par Arthur Nauzyciel dans la Cour d’honneur du palais des Papes. « Quand j’ai vu Marie-Sophie, je suis tombé raide dingue de cette fille. Son corps, sa voix, l’intelligence des textes, la puissance… C’est marrant, j’ai beaucoup travaillé avec des filles qui ont quitté la Comédie-Française : Audrey Bonnet, Marina Hands, Marie-Sophie Ferdane. Ce ne sont pas des chevaux d’écurie, ce sont des chevaux sauvages ces filles-là. J’aime les actrices indomptables, parce qu’elles vont plus loin que ce que je leur propose. »
« Je crée un cadre très précis dans lequel ils sont entièrement libres d’évoluer à l’intérieur du temps réel qui se déploie » Pascal Rambert
Avec le choix de Pascal Rénéric, la logique de la famille s’impose encore : « Il a joué sous la direction de Denis Podalydès dans Le Bourgeois gentilhomme qui a tourné dans le monde entier. Quand Denis m’a dit qu’il voulait absolument faire le spectacle, mais que c’était compliqué avec son emploi du temps à la Comédie-Française, je lui ai dit : ‘Ce n’est pas grave, je vais écrire un truc et vous allez le jouer à deux en alternance.’ Pascal est passé par les ligues d’improvisation et il a une capacité d’invention du texte dans la seconde. J’adore ça. »
C’est Anne Brochet qui va remplacer Marina Hands. « Il se trouve qu’Anne est la meilleure amie d’Arthur, et je l’ai rencontrée à la première de L’Art du théâtre et De mes propres mains au Rond-Point. Je lui ai dit : ‘Anne Brochet, on ne se connaît pas, mais il faut que je vous raconte quelque chose qui date des années 1980 et qui m’a marqué. Vous aviez écrit un petit texte pour Libération où vous racontiez que vous étiez dans un taxi, que le chauffeur avait tenu des propos racistes et que vous aviez eu le courage de lui dire : ‘Arrêtez-vous et maintenant je descends de la voiture’. Elle me répond : ‘Mais Pascal, vous vous souvenez de ça ? – Je m’en souviens parfaitement, et depuis ce moment-là, Anne, je rêve de travailler avec vous. »
Pascal Rambert n’est pas seulement l’auteur d’une dramaturgie inscrite dans notre présent, il donne le sentiment de nous offrir l’intime en partage avec ses comédiens à travers ses textes. « Je crée un cadre très précis dans lequel ils sont entièrement libres d’évoluer à l’intérieur du temps réel qui se déploie. Les acteurs pour qui j’écris sont responsables, ils sont coauteurs de mes pièces.” Si l’architecture est l’art d’habiter le monde, alors, le théâtre de Pascal Rambert porte à son acmé celui d’en rendre visible ses fondations, humaines et culturelles.
Architecture Texte, mise en scène et installation Pascal Rambert. Avec Emmanuelle Béart, Audrey Bonnet, Anne Brochet, Marie-Sophie Ferdane, Arthur Nauzyciel, Stanislas Nordey et Denis Podalydès de la Comédie-Française en alternance avec Pascal Rénéric, Laurent Poitrenaux, Jacques Weber. Du 4 au 13 juillet, Festival d’Avignon, Cour d’honneur du palais des Papes
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