En Suisse, l’artiste anglaise propose des performances et installations engagées qui dénoncent un monde en proie aux ségrégations de genre, de race et de classe.
Autant mettre tout de suite les pieds dans le plat. Il y a un an, Hannah Black déclenchait un cyclone dans le monde de l’art en publiant une lettre ouverte aux curateurs de la Biennale du Whitney Museum of American Art. L’objet de sa requête : Open Casket, le tableau de Dana Schutz, la peintre blanche ayant représenté le cadavre d’Emmett Till, adolescent noir mis à mort par des agresseurs blancs dans l’Amérique ségréguée des années 1950.
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Exigeant décrochage et destruction du tableau, l’artiste et écrivaine anglaise s’indignait de “la transformation de la souffrance du peuple noir en source de profit et de divertissement”. En visitant son exposition au Centre d’art contemporain de Genève, le premier réflexe est de chasser cette actualité désormais inextricablement liée à son nom. Derrière le personnage public, on tente de retrouver l’artiste.
Deux représentations d’une heure le soir du vernissage
Le soir du vernissage, Hannah Black donnait deux représentations d’une heure de sa performance NXIETIN, déjà montrée au MoMA PS1 à New York et à l’ICA à Londres. Blouson “Insecurity” sur le dos, l’artiste avance d’un pas pressé entre les spectateurs installés dans un décor gonflable évoquant celui d’un jeu vidéo de guerre, en réalité composé de véritables structures d’entraînement des forces de l’ordre.
Sur les beats de la musicienne Bonaventure, elle débite la comptine angoissée et angoissante d’un monde déréglé, qui égrène ses tourments – gouvernement fasciste, obsolescence programmée, réchauffement climatique.
Les installations plus “plastiques” qui occupent les autres étages convainquent moins. Pour qui aurait loupé la performance, direction la grande salle jonchée de papiers broyés au destructeur de documents. Au centre, trône une pile de The Situation, le livre que l’artiste a composé à partir de ses textes mêlés à des entretiens dont certains passages ont été anonymisés. Cet ouvrage, il faut en voler un exemplaire (en ces temps d’insécurité, pas de raison d’épargner l’institution), puis prendre le temps de s’y plonger.
Une artiste de l’ère du postimprimé prédite par McLuhan
On y retrouve la force de la performance. Par le cut-up et l’usage de la première personne émerge la même texture à la fois intime et globale. Comme si CNN déroulait les microdrames quotidiens de l’artiste, ou ceux d’un personnage fictif qui la représenterait, en bandeau. Comme chez Bunny Rogers ou Juliana Huxtable (elle a collaboré avec les deux), le texte chez Hannah Black sert de matrice à l’agrégation de particules autobiographiques, fictionnelles et issues de la culture populaire.
Contrairement au fétichisme de l’objet livre ou de l’archive sous verre chez leurs aînés, le texte fonctionne chez elles comme un code informatique : il produit des effets sur un réel qu’il reprogramme. Artistes de l’ère du postimprimé prédite par McLuhan, elles écrivent parce que ce média permet de toucher tout le monde à l’échelle globale, reliant le corps individuel au corps collectif.
Ces textes, qu’il s’agisse indistinctement de livres, de performances ou de virulentes lettres ouvertes, font émerger le positionnement d’un individu qui doute, souffre et désire, face aux violences structurelles de genre, de race ou de classe. Ingrid Luquet-Gad
ANXIETINA d’Hannah Black, en collaboration avec Bonaventure et Ebba Fransén-Waldhör, jusqu’au 22 avril, Centre d’art contemporain de Genève, Suisse
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