[Ed Banger rédac chef] Tout en conservant son style inclassable, Antwan Horfee a évolué du graffiti vers la peinture. Rencontre avec un artiste qui se revendique de la culture populaire.
De son passage par le graffiti, Antwan Horfee conserve “la posture très intense qui mêle adrénaline et prise de risques”. Comme un ancien sportif habité de la même ardeur quelle que soit l’activité entreprise, le trentenaire élargit par cercles concentriques son exploration d’un noyau central : le dessin.
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Lorsqu’on le rencontre par une après-midi ensoleillée sur les pentes de Belleville, la sortie de son premier clip est imminente. Pour le nouvel album Bone Bame du groupe 10LEC6 (prononcer “dyslexique”), il a réalisé la pochette du disque et surtout un clip.
“Mon école de dessin, c’est l’animation des années 1930-40”
Au total, ces 2 minutes 45 auront nécessité quelque 7 000 dessins, scannés à la main, et trois mois de travail. Fleurant bon les grandes heures des cartoons vintage, le clip invite à une promenade dans un Jardin des délices foutraque et pop.
Le trait est délié, les formes étirées et les couleurs pastel, comme délavées par le temps. “Mon école de dessin, c’est l’animation des années 1930-40. Les mouvements 3D trop léchés, ce n’est pas mon truc. Mais la vidéo me permet de réinjecter le dessin dans mes productions et de le faire circuler via un nouveau médium”, explique l’intéressé.
Si le dessin est bien le squelette de sa pratique, la chair en serait plutôt la peinture. “A un moment, j’ai eu l’impression d’avoir fait le tour du graffiti. Je précise que je ne faisais pas de la décoration pour les magasins ou de la peinture de terrain vague. Je faisais des tags et des grafs dans la rue, c’était politiquement investi. Mais l’espace de discussion créé dans ce contexte reste à sens unique ; chacun se contente d’imposer son vocabulaire. Pour cette raison, j’ai décidé de m’investir dans un processus plus fouillé, avec davantage de références à aller chercher. Comme je suis un peu nerd, ça me plaisait bien.”
Circuler entre les milieux et les médiums
Direction les Beaux-Arts de Paris, dans l’atelier du peintre Dominique Gauthier, dont il sortira diplômé au début des années 2010. Aujourd’hui, Horfee est représenté par deux jeunes galeries, l’une à Anvers et l’autre à Cologne – “un changement de position total”.
Cette versatilité, cette habileté à circuler entre les milieux et les médiums sans y perdre son âme ni sa patte compte pour beaucoup dans le franc succès qu’il rencontre. Lui-même se refuse à citer des influences directes d’artistes ou de s’inscrire dans une quelconque filiation. La source, c’est la culture populaire – et l’on n’en saura pas plus.
Regarder ses toiles est alors aussi une manière de retracer sa propre “histoire de l’œil”, selon les résonances que chacun y perçoit. CoBRA ou Gutaï pour certains, les comics ou les tattoos underground pour d’autres. Tout ça se retrouve inextricablement mêlé, dans un vaste mouvement de déhiérarchisation des références passées à la moulinette de la rage du trait qui l’habite.
“Décrocher le volume du trait”
Pour la suite, Horfee travaille déjà aux prochaines expositions. Un passage par la foire Art Bruxelles et surtout deux group-shows, au Domaine de Pommery à Reims puis à la Galerie Ceysson & Bénétière à Paris. Invité par le curateur Hugo Vitrani, qui en 2015 l’avait déjà invité à réaliser une frise au Palais de Tokyo pour le Lasco Project, les deux expos lui tiennent à cœur.
S’y dessine en effet la communauté élective dont s’entoure celui qui n’a jamais cessé de penser en termes de famille d’artistes – et cogère par ailleurs une librairie associative dans le XVIIIe arrondissement de Paris, BATT COOP. Lors des deux propositions, il présentera le résultat de ses dernières recherches : des œuvres en trois dimensions, décollant la peinture du support pour la faire évoluer vers le volume et l’animation.
“En ce moment, dans mon atelier, je découpe des châteaux gonflables pour enfants. Je bascule la structure sur le côté, puis j’y juxtapose des peintures et de la vidéo projetée, une manière de décrocher le volume du trait. Comme la structure est pleine d’air et nécessite d’être constamment regonflée, la pièce ne sera jamais figée. Elle devient un vrai moment d’évasion qui transcende le paysage peint classique.” Comme d’autres s’efforce de rester vertical, Horfee, lui, reste résolument dynamique.
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