Traversées par les explorations formelles, les œuvres abstraites respectives des deux artistes et enseignant·es allemand·es sont à découvrir au musée d’Art moderne, à Paris.
Depuis quelques années, les expositions se penchent sur les racines refoulées de l’invention de l’abstraction. Il y eut ses sources mystiques par l’entremise du biomorphisme spirite d’Hilma af Klint, précédant ses compères masculins Vassily Kandinsky, Kasimir Malevitch ou Piet Mondrian, consacrée au Guggenheim, à New York, en 2018-2019. Le rôle des femmes, également, avec la fresque polyphonique Elles font l’abstraction au Centre Pompidou à Paris, qui s’achevait à la fin du mois d’août dernier. Il y aurait, encore, un versant à écrire, et faire connaître, sur ses sources non occidentales.
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Cet automne, c’est un autre chapitre, celui de la déhiérarchisation entre art et artisanat qui s’ouvre, grâce à la première monographie bicéphale en France que consacre le musée d’Art moderne de Paris au couple Anni et Josef Albers.
L’apprentissage par la pratique
Elle, née Annelise Fleischmann (1899-1994), et lui (1888-1976) se rencontrent en 1922, alors qu’il et elle étudient au Bauhaus, l’école d’art et d’architecture de Weimar. Fondée en 1919 par l’architecte et urbaniste Walter Gropius, qui en deviendra le directeur, l’école entérine un tournant dans l’éducation artistique alors en vigueur, associant au sein de chaque atelier une direction technique et une direction artistique, et privilégiant l’apprentissage par la pratique tout autant que la sensibilisation aux matériaux et à l’environnement. Anni élira le tissage, Josef, le verre puis la peinture.
Dès les premières œuvres, tous·tes deux pratiquent une géométrie “matiérée” et colorée, rigoureuse, comme la tâche de réinvention du quotidien qu’il et elle prendront à bras-le-corps. S’il·elles sont présenté·es ensemble, bien que le couple ne cosignera pas de pièces, c’est que, par-delà leur mariage, leurs œuvres respectives progresseront de front. Dans les salles, la cohérence du vocabulaire élaboré dès les années étudiantes ne laisse que peu de place aux évolutions radicales : tout est déjà là, se précisant et s’approfondissant graduellement, mais par l’accrochage, c’est avant tout une scansion rigide comme une partition qui se déploie.
Un parcours chronologique qui manque de vie
En 1933, alors que le Bauhaus est dissous sous la pression de la montée du régime nazi, Josef et Anni Albers quittent l’Allemagne pour les États-Unis. Une autre expérience pédagogique expérimentale les attend et les accueille : il et elle deviennent enseignant·es au Black Mountain College. Cet environnement rural de Caroline du Nord accueille un apprentissage fondé sur l’action et la vie en communauté.
Il y aura aussi les fréquents voyages en Amérique latine, la fascination pour les figurines et textiles précolombiens, les incartades, pour elle, dans l’art des bijoux d’usage accessibles à tous·tes, et l’exploration des nœuds, pour les deux, dans le sillage conjoint de la théorie mathématique du même nom.
Meubles, tapisseries et typographie dessinent précisément au sein de leur pensée la sortie de l’art magnifié
Mais, si l’on s’abstient de lire les cartels qui scandent le parcours chronologique, ces évolutions, ces influences élargies ne se sentent guère : les œuvres sont sous cadre au mur, les environnements rares, la texture quotidienne absente, quand bien même meubles, tapisseries et typographie dessinent précisément au sein de leur pensée la sortie de l’art magnifié.
Si le parcours de L’Art et la Vie se clôt, avant une série étouffante de rigueur, par les déjà fameux Homage to the Square que mène, de 1950 à sa mort, Josef Albers – seul –, la partie dédiée à la pédagogie manque d’ampleur. En 2015, le Hamburger Bahnhof de Berlin avait consacré au Black Mountain College, et à l’“expérimentation interdisciplinaire” qui y prit place de 1933 à 1957, une exposition autrement plus vivace, ne serait-ce que par sa scénographie.
Anni et Josef Albers – L’Art et la Vie jusqu’au 9 janvier, musée d’Art moderne de Paris.
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