En enchaînant Les Soldats de Jakob Lenz et Lenz de Georg Büchner, la metteure en scène Anne-Laure Liégeois réalise un frémissant tableau des souffrances humaines.
Est-ce un théâtre qui nous fait face ? Ou un tribunal ? La structure étagée, pourvue de loges et de colonnes au niveau du plateau, est garnie de sièges rouges qui servent indifféremment aux acteurs pour observer ce qui se déroule sur scène ou comme accessoires de jeu. Un décor réduit au minimum pour coller au plus près du drame écrit par Jakob Lenz en 1775.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Sous ses allures masculines, Les Soldats décrit le parcours d’une femme. Pour la metteure en scène Anne-Laure Liégeois, on assiste à la destruction de Marie, une jeune fille qui se découvre femme : “C’est le récit du parcours vers la déchéance d’une jeune fille, victime de la violence des hommes éduqués dans la conscience de la puissance de leur sexe. Les Soldats est l’histoire de la violence universelle faite aux femmes, mises au rang d’esclaves sexuelles, dans un monde organisé par les hommes selon des lois qu’ils ont eux-mêmes établies.”
Le théâtre dans le théâtre
Une fille de commerçants, durs et austères, fiancée à un homme de sa condition, Stolzius, jusqu’au jour où un soldat, aristocrate, la séduit en l’emmenant au théâtre. Le théâtre dans le théâtre est le leitmotiv de la pièce observé à travers le miroir sans tain où acteurs et public se font face et s’observent.
Cru le langage, crue la pantomime sexuelle à laquelle assiste Marie, archi cru son premier rapport sexuel qui n’est qu’un viol, résolument saignante la volupté avec laquelle les soldats se jettent sur les femmes en général et sur Marie en particulier. Mais au milieu de toute cette cruauté revendiquée, celle des hommes sur les femmes, de l’appartenance à une classe sociale et de l’impossibilité d’en changer, de la mainmise parentale sur ses enfants, surgissent pourtant des éclats de lumière. Des espoirs insensés. Des questionnements pertinents.
“Le hurlement du silence”
Un constat aussi dur que nécessaire que seule une âme sensible était à même de capter : celle de l’auteur, Lenz, à qui Anne-Laure Liégeois dédie la deuxième partie du spectacle avec Lenz de Georg Büchner. Un récit écrit en 1835 par le dramaturge à partir des notes prises par le pasteur Oberlin qui recueillit Lenz, sombrant dans la folie, décrivant ses tourments et sa chute. Difficile de ne pas penser à la pièce inachevée de Büchner, Woyzeck, et à son personnage de Marie, fille à soldats elle aussi. La même un peu plus tard… Un regard politique partagé et révolté.
Le décor de Lenz est le même, les acteurs des Soldats sont assis dans les loges du plateau et regardent, comme nous, les deux acteurs qui prêtent leur voix et le vacillement de leur corps à l’évocation de la descente aux enfers de Lenz. Olivier Dutilloy et Agnès Sourdillon sont les passeurs magnifiques de ce texte qui scelle en une seule image les paysages de cimes et de neige où vagabonde le poète et le paysage intérieur chaotique où résonne “le hurlement du silence qui le rend fou.” Des Soldats à Lenz, le message est le même : on peut désespérer de l’être humain, mais pas de sa capacité à donner forme à son destin au moyen du théâtre. On en frémit encore.
Les Soldats, d’après Lenz, suivi de Lenz, d’après Büchner, mise en scène Anne-Laure Liégeois, les 13 et 14 février, le Volcan du Havre ; le 20 février, Théâtre le Manège, Mons Arts de la scène ; en tournée en mars
{"type":"Banniere-Basse"}