Robert Cantarella réunit Nicolas Maury et Valérie Vivier aux côtés de ses stars que sont Catherine Hiegel et Catherine Ferran pour disséquer jusqu’à l’os une farce cruelle de Dea Loher.
De plein pied avec le parc où dort tranquillement sous sa bâche une « préhistorique Renault de merde » empestant le chien mouillé, la scénographie esquisse à l’aide de quelques cloisons l’espace des communs devenus le camp retranché d’une domesticité au chômage technique depuis la disparition de Madame.
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C’est sur deux hideuses chaises en plastique qu’Anna la couturière (merveilleuse Catherine Hiegel) et Martha la cuisinière (merveilleuse Catherine Ferran) trônent la plupart de la journée… façon de ne jamais quitter des yeux le gros congélateur où comme dans un sarcophage ronronnant à rythme régulier est conservé à la manière du poisson panné, le corps de Madame, enfin préservé pour l’éternité des outrages du temps.
Ne se contentant pas de se tirer la bourre en permanence, les deux divas des plateaux font assaut de cruauté envers Xana (ébouriffante Valérie Vivier), leur souffre douleur. Coiffée façon plumeau, la fille à tout faire est une immigrée sans contrat quasi muette qui ne réserve qu’au public ses folles apartés en apparaissant sous des light-show dans la robe de strass qu’elle porte en permanence sous sa blouse. Last but not least, la performance de Nicolas Maury interprétant le chauffeur réincarné dans le corps de son chien est un sommet surréaliste qui se déguste avec délectation et donnerait presque envie de se mettre aux croquettes sur le champ.
Clin d’œil aux Bonnes de Jean Genet tout autant qu’à En attendant Godot de Samuel Beckett, Anna et Martha de l’Allemande Dea Loher revisite avec un humour acide apte à déboucher les WC les deux huis clos légendaires pour évoquer les erreurs de jeunesse d’une ultra-gauche allemande, un temps séduite par l’action directe et devenue aujourd’hui encore plus pathétique à l’heure où elle approche du seuil de la maison de retraite.
Plutôt que de forcer le trait de dialogues ciselés propres à faire un carton sur les scènes du boulevard (traduction limpide de Laurent Muhleisen), Robert Cantarella opte pour la farce glacée via un rire qui oscille entre effarement et sidération. Un tapis rouge déroulé à l’intention de Catherine Hiegel et Catherine Ferran qui, bien au-delà de leur immense numéro d’actrices, excellent à exprimer les subtilités d’une partition qu’elles ne réduisent jamais à une succession de bons mots. Leur humour pince-sans-rire et leur complicité de chaque instant qui s’arrange de la cruauté morale comme de la violence physique font ici des miracles. Un duel au sommet dont la seule ambition est de servir un théâtre aux allures de couteau sans cesse retourné dans une plaie. Du grand art.
Patrick Sourd
Anna et Martha de Dea Loher, mise en scène Robert Cantarella. Avec Catherine Hiegel, Catherine Ferran, Nicolas Maury et Valérie Vivier, Théâtre 71 à Malakoff jusqu’au 13 mars, Tel :01 55 48 91 00.
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