Quelques jours après la deuxième attaque, ouvertement antisémite cette fois, perpétrée contre l’œuvre d’Anish Kapoor à Versailles, c’est du couvent de la Tourette, emblématique œuvre de Le Corbusier qui accueille pendant la Biennale de Lyon l’artiste indo-anglais, qu’est venue la riposte.
« Ma réponse est dans cette exposition » résume d’une voix sûre le frère Marc Chauveau devant « Discrobe » une œuvre viscérale d’Anish Kapoor datée de 2013 exposée en marge de la Biennale d’art contemporain de Lyon dans l’extraordinaire couvent de la Tourette, bâtiment brutaliste tout en obliques et percées lumineuses, construit par Le Corbusier où les Dominicains ont élu domicile dans les années 50.
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Quelques jours après le deuxième outrage infligé dans les jardins du Château de Versailles au Dirty Corner de l’artiste indo-anglais (rebaptisé “Vagin de la Reine” par ses détracteurs), c’est devant une œuvre à la chair vif, toutes entrailles sorties et qu’il considère dans la droite lignée du Bœuf écorché de Rembrandt que le frère Marc Chauveau, à l’origine de l’invitation à Kapoor cette année, a choisi de prendre la parole.
“Il y a cinquante ans, les Frères Dominicains ont eu l’audace de faire appel à Le Corbusier, nous prolongeons cette tradition” a assuré le Frère Marc Chauveau avant de rappeler que son ordre a toujours entretenu d’étroites relations avec les artistes contemporains, comme ce fut le cas avec la revue L’Art sacré, par exemple, fondée dans les années 50.
“Lorsque j’ai vu cette œuvre dans l’atelier d’Anish Kapoor l’an dernier j’ai été pris entre un sentiment de répulsion et d’attraction, a admis cet homme charismatique avec beaucoup de finesse, elle est l’incarnation de cette tension entre deux pôles, charnel et spirituel, entre lesquels nous sommes sans cesse pris.”
La réponse est dans l’exposition en effet, qui quelques jours après les injures adressées à Versailles (l’enquête suit son cours) à l’endroit d’un artiste considéré comme sacrilège, offre ici, dans ce lieu religieux dont Kapoor a investi tous les espaces emblématiques, de l’église à la chapelle, avec ses aluminium Mirrors et Spire réfléchissante, un pied de nez savoureux aux extrémistes.
La veille, l’artiste avait dîné avec François Hollande qui l’a assuré de son soutien, “pour des raisons pédagogiques”, dans sa décision de ne pas retirer les graffitis injurieux de ses sculptures. Face aux nombreux journalistes venus découvrir son exposition au Couvent de la Tourette, Anish Kapoor a d’abord remercié la communauté des Frères Dominicains pour “leur incroyable générosité” avant de faire part avec beaucoup d’humilité des doutes qui le travaillent encore.
”Je ne sais pas exactement qu’elle était la bonne chose à faire” a reconnu l’artiste interrogé sur sa décision de laisser en l’état, avec leur lot de menaces et d’insultes, ses sculptures souillées, après avoir mentionné les larmes qui lui sont venues aux joues en apprenant la nouvelle de cette deuxième attaque vandale, quelques semaines après le premier affront subi en juin dernier.
Il n’a pas caché non plus son désarroi face aux manœuvres perverses de ses adversaires qui le mènent aujourd’hui devant la justice, l’accusant, par un étonnant tour de passe-passe de lui-même proférer des insultes antisémites en choisissant de laisser en l’état son installation.
« A Versailles, Anish Kapoor dialogue avec Versailles et Le Nôtre, à Eveux, il dialogue avec Le Corbusier. Ce dialogue c’est l’unité du monde » a déclaré de son côté la ministre de la Culture venue inaugurer mardi soir à 19h la Biennale d’art contemporain de Lyon à la Sucrière.
« L’art est un dialogue, la culture est une conversation, mais certains le refuse en saccageant des oeuvres. Ils n’ont rien compris, a poursuivi Fleur Pellerin, qui étudie actuellement un projet de loi visant à réaffirmer la liberté de la création artistique. Leur unité est totalitaire, leur vision du monde congelée. Kapoor rétablit les conditions du dialogue et signifie ainsi à ces saccageurs qu’ils ont perdu. On ne défendra jamais assez les artistes et le dialogue. Précisément parce que notre monde est fracturé ».
“Je suis scandalisé, touché, par cet acte ignoble. Lorsque je vois écrit ‘Seul le Christ est roi’, c’est inadmissible”, a renchéri de son côté le frère Marc Chauveau avant de conclure les “œuvres présentées ici ne sont pas exposées, elles habitent ici” et de redire sa joie, qu’il partage avec ses frères, d’accueillir en ces murs un grand artiste comme Anish Kapoor.
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