Ruisselante et exubérante, le dernier spectacle de la chorégraphe brésilienne lave à grande eau le linge sale des préjugés anti-pauvres et racistes.
D’abord indistinct et bruissant, le groupe des six danseur·ses entièrement recouvert d’une bâche en plastique bleu s’éparpille bientôt pour laisser libre cours à des danses exubérantes, en solos ou en duos, d’une inventivité imparable – telles ces courses stoppées en plein saut, buste contre buste, ces roulades au sol, tête contre tête, ou le porté étourdissant d’un couple, comme une version optique de l’osmose en accéléré…
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Jeu de contrastes
Tout Lavagem joue, brillamment, sur les contrastes : entre la masse bruyante, informe et mouvante du groupe enveloppé de plastique – le hors-champ où ils se soudent, font corps et avancent ensemble –, et l’incroyable palette gestuelle que décline chaque interprète avec une énergie, une fluidité et une rythmique ébouriffantes.
Révélée en France avec Acordo et Cria en 2019, Alice Ripoll est de retour avec une pièce qui s’attelle à “décortiquer la réalité polarisée de la société brésilienne où les contacts entre les différentes couches de la population restent extrêmement ténus et un ordre social sexiste, anti-pauvres et raciste persiste”.
Symbolique
Les danseur·euses de sa compagnie ont vu leurs mères et leurs grands-mères faire le ménage chez les autres toute leur vie. Se laver ou nettoyer les maisons des autres, “cela n’a pas empêché la caste blanche dominante de considérer les Noirs comme sales”. Le symbole à l’œuvre est parlant et trouve sur le plateau une force d’expression plastique imparable. Fluidité de l’eau et des bulles de savon, frottement sonore des bâches et des seaux de plastique qui tiennent lieu de décor et constituent les uniques accessoires pour la bande-son.
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La matérialité convoquée dans Lavagem est le support d’une chorégraphie qui joue, de façon quasi-hypnotique, sur la métamorphose des formes proposées à travers la répétition. Une fois la bâche étalée sur le plateau et les seaux d’eau savonneuse déversés sur les corps et le sol, les danseur·ses se livrent à des compositions de groupe, avec un leitmotiv gestuel : la glissade, qui sublime et défait à mesure ces échafaudages humains. Autant de compositions acrobatiques et poétiques aux combinaisons infinies qui trouvent leur point de chute dans la mise en scène de la mousse, agencée sur le plateau et recouvrant entièrement le corps d’un interprète.
Une zone de contact et de rencontre propice à une interrogation commune : “Que faut-il réellement nettoyer ? Les maisons, la saleté dans les chambres ? Ou les stratégies sophistiquées qui visent à rendre certaines personnes invisibles ?” On connaît la réponse. La beauté du geste d’Alice Ripoll est de la rendre visible.
Lavagem, chorégraphie Alice Ripoll, jusqu’au 19 septembre à La Villette et les 15 et 16 octobre au théâtre Louis-Aragon de Tremblay-en-France, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris. Les 24 et 25 septembre au Klap de Marseille, dans le cadre du festival Actoral.
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