Chorégraphe international de premier plan, le Suédois Alexander Ekman se plaît à bousculer les habitudes de l’institution parisienne avec sa création joueuse. Reportage sans langue de bois.
Pour atteindre le studio Massenet dans les sous-sols de l’Opéra Bastille, il faut emprunter des Escalators et de longs couloirs résonnant des rires de danseurs. Une fois passé la porte de cet espace de répétitions, on a l’impression que le ballet de l’Opéra de Paris s’est transformé en dream team sportive.
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Ballons de basket, trampolines, raquettes : bienvenue dans le merveilleux monde d’Alexander Ekman. Le prodigue créateur suédois joue gros avec Play, première création parisienne. Et espère rafler la mise. Trente-cinq danseurs réunis, des musiciens live, la chanteuse gospel Calesta “Callie” Day découverte via YouTube.
Face à nous, Ekman joue franc-jeu
“J’ai commencé à chorégraphier il y a une douzaine d’années, travaillé avec quarante-cinq compagnies différentes. J’ai l’impression d’arriver à la fin d’un cycle avec Play.” Face à nous, des cernes sous les yeux, Ekman joue franc-jeu. “Je ne peux pas être complètement dans l’expérimentation avec 2000 spectateurs dans la salle chaque soir, comme ici à Garnier.” Alors il a pensé Play comme un baroud d’honneur, “mais avec un sujet susceptible de passionner le plus grand nombre”.
Il s’est posé une question assez simple : pourquoi cessons-nous de jouer une fois l’âge adulte venu ? Il s’est peut-être souvenu de son enfance et de son théâtre de marionnettes. Sauf que celui qui aime incarner des personnages – et les danser – n’a pas vraiment cessé de jouer. “Je me dis souvent que je suis payé pour cela, me retrouver dans un studio, expérimenter, chercher.”
“Je ne me fixe pas de règles. Les danseurs sont mon ‘argile’. Nous allons essayer ensemble”
Ekman s’avoue jaloux des peintres ou des compositeurs. “Ils n’ont pas besoin de ‘dealer’ avec la psychologie d’une troupe.” Il a abordé la création de Play comme à son habitude. “Je ne me fixe pas de règles. Les danseurs sont mon ‘argile’. Nous allons essayer ensemble. Mais je préférerai toujours prendre des risques quitte à faire une mauvaise pièce que de simplement la jouer sans surprise et au final être ennuyeux.”
Faisant siens les mots de son aîné Mats Ek, Alexander énonce ce mantra : “The piece is the boss!” Comprendre : pas lui, pas les interprètes. Ce jour-là, sous nos yeux, le plan du premier acte a des allures de grille d’entraînement digne de l’Insep et son usine à champions. Entre deux disciplines sportives, on tombe quand même sur un duo ou des pointes.
Avec Play, Ekman veut dé-jouer. Simon Le Borgne, danseur de l’Opéra, micro en main, lâche quelques mots. “Jouer est une manière d’imaginer. C’est le processus, pas le but du jeu qui est important.” Alexander Ekman est du genre patient. Quitte à reprendre son interprète une demi-douzaine de fois.
Les corps dans la bataille
On a découvert ce chorégraphe formé au Ballet royal suédois grâce à son travail de création au sein du Nederlands Dans Theater à La Haye. Dans les pays nordiques, on se l’arrache. Il a l’art de mêler une connaissance du classique avec sa folie douce. Il est parfois à côté de la plaque, comme pour cette relecture sur eau du Lac des cygnes, un rien facile.
Pour le reste, il fait partie des surdoués du ballet. Du genre à bousculer les habitudes. L’Opéra de Paris est servi. Ici, on pose les ballerines sur des cubes blancs, on pratique le slow motion, on jette son corps dans la bataille.
En cette mi-novembre, l’énergie est palpable. Un mouvement trop ample du premier danseur François Alu finira dans le visage d’une partenaire. On s’arrête. Plus de peur que de mal. La danse, c’est parfois sportif, semble penser Ekman, jamais avare de “ça va ?” à défaut de maîtriser complètement le français. L’idée semble d’élargir le point de mire. L’interaction est au centre de ses préoccupations.
“Je fais partie d’une génération et d’un petit pays, la Suède, qui n’ont jamais cessé de se jouer des frontières”
“Entre Alexander et nous, il n’est à aucun moment question d’ego surdimensionné ! Il y a un vrai but commun : travailler en synergie pour servir au mieux la pièce”, confie François Alu. Au-delà, Play aura des allures de “petite provocation dans cette institution, l’Opéra de Paris, où on joue beaucoup avec un système d’autorité quasi pyramidal”, clame le chorégraphe, paré d’un sweat-shirt Pigalle.
Déjà parisien d’adoption ? “En fait, New York me manque. Paris est une ville un peu dure. Je fais partie d’une génération et d’un petit pays, la Suède, qui n’ont jamais cessé de se jouer des frontières.” Alexander Ekman semble déjà prêt à (re)prendre la tangente.
Play Conception Alexander Ekman, musique Mikael Karlsson, avec le ballet de l’Opéra de Paris, du 6 au 31 décembre, Palais Garnier, Paris IXe
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