L’artiste chinois s’est fait photographier échoué sur une plage, face contre terre. Un choix plus que douteux…
Alors que nous publiions ce lundi sur notre site un article consacré à l’artiste chinois Ai Weiwei, une nouvelle image, présentée actuellement à l’Indian Art Fair, est apparue sur les réseaux sociaux. On y voit Ai Weiwei échoué sur une plage, face contre terre. Un reenactment en noir et blanc d’une photographie célèbre qui fit le tour du monde en septembre dernier : celle d’un garçonnet syrien de 3 ans, Aylan Kurdi, retrouvé noyé sur une plage de Bodrum, au sud-ouest de la Turquie. De cette image bouleversante nous écrivions dans les pages arts des Inrocks qu’elle disposait « d’une puissance d’arrêt susceptible d’arrêter la ronde des images, de provoquer un choc statique et de mettre en suspens notre consommation frénétique de visuels« .
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Ai Weiwei on the Refugee Crisis pic.twitter.com/pBofbR7SqV
— ian bremmer (@ianbremmer) January 31, 2016
Collusion désastreuse
Or que fait l’artiste chinois en réalisant cette image sur l’île de Lesbos, où il a installé un studio et documente en continu, avec des étudiants chinois et allemands, l’afflux permanent de réfugiés ? Il superpose une autre image, qui joue à la fois sur les ressorts du mimétisme, l’identification immédiate, et le décalage supposément parlant. Ce faisant, il produit sans doute l’effet totalement inverse de ce qu’il avait imaginé (si tant est que l’on persiste à croire dans les intentions louables de cet artiste-activiste).
Il faut se rappeler la collusion désastreuse qui voulut que le jour de la publication de la photographie du petit Aylan, Le Monde laissa paraître cinq pages plus loin une publicité de la marque Gucci montrant une mannequin, et son sac à main, dans une posture similaire. Le Monde présenta dès le lendemain des excuses publiques. On est, face à cette image d’Ai Weiwei prétendument faite pour alerter, confronté à la même inconséquence que l’on ne pourra toutefois pas cette fois ci imputer à une erreur de calendrier ou une faute de goût. Ai Weiwei sait ce qu’il fait sans doute, mais force est de constater qu’il manque son coup et finit par retourner l’arme contre lui-même. Quand la photographie d’Aylan Kurdi est pudique, l’enfant minuscule, vu de loin dans un paysage décadré, le corps massif, habillé et chaussé d’Ai Weiwei occupe tout le cadre et détourne notre regard.
Il manque son coup et retourne l’arme contre lui-même
Qu’Ai Weiwei ait choisi de documenter les conditions désastreuses d’arrivée des migrants sur l’île de Lesbos en postant des clichés sur son compte Instagram passe encore. A l’art, à la réalisation effective du projet de mémorial pour les migrants, l’artiste-activiste aura préféré le rôle de lanceur d’alerte. Mais le reenactment de la photo d’Aylan Kurdi ne relève pas de cette démarche. »Ai et son équipe nous ont activement aidés à mettre en scène la photo« , a ainsi raconté au Washinton Post le photographe Rohit Chawla. La photo a ensuite été tirée puis encadrée, et présentée dans le cadre d’une foire.
Ce faisant, l’artiste délaisse alors le domaine public, que représente notamment Instagram, pour regagner les rangs de l’institution – comme s’il entendait signifier que l’image originelle de la mort d’un enfant de trois ans n’était en elle-même pas assez choquante. Et Karen Archey de souligner dans les colonnes d’e-flux:
« En posant de la sorte, Ai Weiwei ne se rend pas compte qu’il est en train de suggérer que nous avons besoin de l’image d’un homme d’âge mur, riche et puissant pour nous faire prendre conscience de la tragédie que représente la situation actuelle des réfugiés ».
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