L’artiste dissident, qui vient de prendre ses fonctions de professeur à l’université des Arts de Berlin, a présenté à sa façon caustique la manière dont il comptait enseigner.
Cela faisait cinq ans que les Berlinois l’attendaient. L’artiste dissident chinois Ai Weiwei vient de prendre officiellement ses fonctions de professeur invité à l’université des Arts de Berlin, où il formera durant trois ans une classe de douze étudiants. Invité dimanche 1er novembre à une discussion inaugurale publique dans les locaux de l’université, il a échangé sur sa vision de l’art et de l’enseignement avec ses nouveaux collègues.
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“Cela n’arrive pas souvent, comme vous le savez, d’avoir la joie de voir un souhait se réaliser au bout de cinq ans. Je suis très, très heureux de le voir ici”, a déclaré hier avec émotion devant une salle comble Martin Rennert, le président de l’université des Arts de Berlin (UDK).
Cela fait en effet longtemps qu’une place de professeur attendait Ai Weiwei à Berlin. Dès décembre 2010, la direction de l’université a déposé une demande de financement pour créer un poste de professeur invité pour accueillir le célèbre artiste chinois. Lorsqu’elle a été validée quelques mois plus tard, Ai Weiwei se trouvait alors emprisonné quelque part en Chine… Puis s’est vu retirer son passeport à sa libération sous caution quelques semaines plus tard.
L’exil serait une défaite
Cet été, lorsque les autorités chinoises lui ont rendu son passeport contre toute attente, l’artiste dissident s’est immédiatement rendu en Allemagne, à Munich, pour rendre visite à sa compagne et son fils de 6 ans, qu’il n’avait pas vus depuis des années. Quelques semaines plus tard, l’UDK faisait savoir qu’Ai Weiwei compterait parmi ses professeurs dès la rentrée. “J’étais persuadé que cela arriverait. Nous sommes toujours restés en contact, mais même s’il avait pu voyager, il ne l’aurait pas fait sans être sûr de pouvoir revenir en Chine. Il fallait donc attendre que la situation politique se détende”, explique en coulisses Martin Rennert, qui a rendu visite il y a quelques semaines à celui pour qui l’exil reviendrait à “une défaite” dans son studio à Pékin.
Entouré de quelques-uns de ses nouveaux collègues sur la scène de la salle de concert de l’UDK, Ai Weiwei semble un peu gêné des honneurs qui lui sont faits. Malgré le sourire qu’il affiche durant toute la discussion, il est sur la retenue. “C’est un défi” d’expliquer devant tant de gens ce qu’il compte enseigner aux étudiants durant les trois prochaines années, explique-t-il au micro, avant d’ajouter qu’il apprécie “cette façon de faire ouverte et démocratique”. Comme l’a souligné le président de l’université au début de la discussion, Ai Weiwei “est ici uniquement pour enseigner l’art. Les droits humains ne font pas partie de son programme d’enseignement”.
Les autres professeurs de l’UDK s’en tiendront donc uniquement ce soir-là à des questions sur son parcours artistique et sa vision de l’art, à l’aide d’un dispositif semblant tout droit sorti d’un talkshow, disposant à chaque fois des objets sur une table, thématique par thématique – deux cannettes de bière pour évoquer sa relation à Andy Warhol ou un parpaing pour aborder son passé dans un camp de travail où il aidait à l’âge de 10 ans son père à fabriquer des briques et qui rappelle aussi les murs de son nouvel atelier au Pfefferberg, une ancienne brasserie du quartier de Prenzlauer Berg transformée en fabrique culturelle. Il se trouve juste à côté de celui de l’artiste danois Olafur Eliasson, qui a lui aussi été professeur invité à l’UDK il y a quelques années.
“Passer un bon moment ensemble.”
Lorsque l’un des professeurs de l’UDK, peu après avoir brandi un classement des artistes les plus influents du monde sur lequel Ai Weiwei apparaît en deuxième position pour 2015, lui demande comment il compte préparer ses étudiants à avoir du succès sur le marché de l’art, le lion sort à nouveau de sa cage : “Il y a beaucoup d’artistes qui ont présenté leur candidature pour intégrer ma classe. J’ai décidé de rayer en premier tous les noms des étudiants qui m’ont posé ce genre de questions, qui m’ont demandé comment avoir du succès. Je considère que les artistes n’ont pas à avoir du succès.”
Plus d’une centaine d’étudiants issus des filières design, mode, film et photographie ont passé un entretien d’évaluation avec l’artiste pour pouvoir suivre ses cours. Seuls douze d’entre eux ont finalement été admis. Les élèves d’Ai Weiwei devraient travailler sur les thèmes de l’exil et des migrations. Interrogé sur ses critères de sélection, l’artiste a ajouté avoir écarté les étudiants pour qui “l’art était un but et non un moyen” et s’être finalement décidé de manière “très égoïste” : “Le but est bien sûr de passer un bon moment ensemble.”
Des extraits de ces entretiens, qui ont tous été filmés, ont été présentés hier peu avant l’issue de la discussion. On y voit Ai Weiwei dans son bleu de travail et ses espadrilles habituelles demander aux étudiants qui se succèdent à sa table s’ils ont un compte Twitter, comment ils l’utilisent, puis faire des selfies avec eux, avec ce sourire énigmatique dont il se départ rarement. Fidèle à son habitude de documenter l’instant présent, celui qui dit faire plus de 50 000 photos par an a d’ailleurs publié sur Instagram une photo du public prise depuis son fauteuil .
La discussion se termine avec une pirouette qui fait s’esclaffer l’assistance, lorsqu’une étudiante, dans la salle, lui demande qu’elle est sa définition de l’art : après un long silence appuyé, il fait dire à son traducteur qu’il n’est pas en mesure de répondre à cette question, avant de lancer quelques instants plus tard : “C’est un peu comme le sexe, j’ai beaucoup d’expérience dans ce domaine mais je n’ai pas besoin de le définir.”
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