La 9ème Cour d’appel de San Francisco s’est prononcée ce lundi dans l’affaire du diptyque de Cranach spolié au collectionneur et marchand juif Jacques Goudstikker en 1940. Dans le conflit opposant le Norton Simon Museum de Pasadena à Marei von Saher, ayant-droit de Goudstikker, la Cour a rendu son arrêt en faveur du musée, qui conserve ainsi les deux tableaux litigieux.
La décision de la 9e Cour d’appel de San Francisco rendu ce lundi met fin – pour un temps – à une bataille judiciaire initiée plus de dix ans auparavant sur le sol américain, et des décennies plus tôt en Europe. Car l’affaire est complexe et fait intervenir autant d’acteurs que d’arguments juridiques aux niveaux national et international.
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Historique d’une affaire à rebondissements
A l’origine, le collectionneur et marchand Juif Jacques Goudstikker acquiert aux enchères allemandes en 1931 l’Adam et Ève de Cranach l’Ancien, datant de 1530 environ, originellement partie de la collection Stroganoff. Goudstikker fuyant la menace nazie en 1940, sa collection est saisie par Göring, puis restituée par les Alliés au gouvernement néerlandais en 1946, pour restitution. Les deux Cranach ne sont pas alors restitués aux ayants-droit Goudstikker, frappés de prescription pour restitution en 1951. En 1966, ils sont vendus par le gouvernement néerlandais à George Stroganoff-Sherbatoff, qui en revendiquait lui-même la propriété depuis 1961, les œuvres ayant été selon ses dires arrachées à la collection Stroganoff par les Soviétiques après la Révolution d’octobre.
En 1966 donc, l’Adam et Ève de Cranach sont déjà revendiqués par deux propriétaires originels et sont passés en trois mains gouvernementales. En 1971, les Cranach sont rachetés par l’Américain Norton Simon à Stroganoff-Sherbatoff, puis intègrent les collections du Norton Simon Museum de Pasadena en 1975. Marei von Saher intervient dans les années 90 : descendante de Goudstikker vivant aux États-Unis, elle saisit la justice néerlandaise pour que les Cranach lui soient restitués mais est déboutée. La Cour néerlandaise lui oppose en effet la renonciation de la famille Goudstikker à ses droits après la guerre. En 2006, néanmoins, le gouvernement néerlandais restitue à l’héritière un ensemble de 202 tableaux qu’il conservait en sa possession, qui sont vendus chez Christie’s la même année par l’ayant-droit.
La justice américaine en faveur du Norton Simon Museum
L’épopée judiciaire américaine est initiée en 2007 par von Saher, qui attaque cette fois le Norton Simon Museum, revendiquant la propriété des Cranach. La défense des deux parties fait intervenir autant d’arguments de fond ayant trait aux titres de propriété et restitutions qu’aux procédures (et délais de prescription) inhérentes au système étatique de restitution. En première instance, en 2016, le tribunal américain tranche à l’encontre de von Saher, confirmant la propriété acquise de droit par le gouvernement néerlandais après la guerre et, in extenso, celle du Norton Simon Museum.
L’héritière ayant interjeté appel se retrouve aujourd’hui confrontée à un second verdict en sa défaveur. La Cour d’appel de Californie, en effet, refusant de juger l’affaire au fond, tranche en faveur du musée américain sur le fondement de la doctrine d’État, qui consiste à soustraire sa juridiction aux décisions prises souverainement par le gouvernement néerlandais. La décision d’appel semble pleinement se justifier s’agissant d’une affaire démêlée depuis une décennie en Europe, pour laquelle les autorités néerlandaises ont considérablement œuvré en matière de restitution de la collection Goudstikker spoliée.
Les deux Cranach restent donc légitimement dans les collections du Norton Simon Museum, qui se félicite de cette décision pour l’accessibilité de telles œuvres au public. L’ayant-droit von Saher envisage, semble-t-il, d’en recourir au degré de juridiction supérieur. Le diptyque ayant récemment été évalué à 24 millions de dollars, la pugnacité de l’ayant-droit trouve probablement ses origines ailleurs que dans la volonté que justice soit faite face à l’Histoire.
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