Mixant des textes historiques à sa propre dramaturgie, Olivier Py signe une belle oraison à la mémoire de François Mitterrand.
Quelle trace laisse le destin d’un homme dans l’histoire ? Chez François Mitterrand comme chez tout être humain, cette trace serpente, au gré de la pression des événements et des concours de circonstances, à travers le foisonnement de ces chemins qui ne mènent nulle part si chers à Martin Heidegger. La lire nécessite l’analyse a posteriori et la mise à distance.
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Quinze ans après la mort de François Mitterrand, la grande qualité de la proposition théâtrale d’Olivier Py, Adagio [Mitterrand, le secret et la mort], est de rendre compte tout autant des hasards d’une destinée que de l’obsession d’un homme qui, se revendiquant du siècle des Lumières, n’acceptait pour guide que l’éclairage de sa propre raison.
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Ainsi, c’est le hasard qui le désigne pour accompagner le général Lewis lors de la libération du camp de Dachau et l’amène à traverser un champ où les morts et les agonisants sont abandonnés. Hasard encore que ses pas le mènent jusqu’à un tas de corps apparemment inertes d’où une faible voix l’appelle, celle de Robert Antelme, mari de Marguerite Duras, qu’il sauve ce jour-là d’une mort certaine. Ainsi, c’est la raison qui lui fait imposer le plus rigoureux des secrets à son médecin quand, quelques mois après son élection en mai 1981, il apprend qu’il a un cancer de la prostate avec une diffusion de métastases dans les os et que la mort est devenue sa seule compagne de route.
Un petit théâtre d’une grande humanité
Sans suivre d’autre chronologie que celle du désordre des émotions d’un homme qui, à l’heure de mourir, voit défiler les moments forts de sa vie, Olivier Py construit avec brio un petit théâtre d’une grande humanité, où le tragi-comique des intrigues de palais le dispute à la grandeur des combats gagnés, tel celui de l’abolition de la peine de mort en 1981 avec Robert Badinter.
Dans la magnifique scénographie de Pierre-André Weitz, on distingue aisément les pièces d’un puzzle rendant hommage aux grands projets du président, de la Bibliothèque nationale de France à la Grande Arche de la Défense. Mais, comme le titre, Adagio, donne le rythme musical, c’est le mouvement lent d’une forêt apparaissant en second plan dans une trouée qui témoigne, tel un castelet de l’enfance, du terrain des opérations où la politique tente ses bras de fer avec les drames qui déchirent le monde.
Autour de Philippe Girard (impeccable en François Mitterrand), la troupe où brillent Elizabeth Mazev, Scali Delpeyrat, John Arnold, Bruno Blairet, Alphonse Dervieux et Jean-Marie Winling se partage pas moins de trente rôles, de Jack Lang à Jacques Séguéla, d’Helmut Kohl à Mikhaïl Gorbatchev. Dans ce jeu de collages où la prose de Py s’entend à l’unisson des textes historiques, reste la citation en forme de prologue du fameux » Comment mourir ? », où François Mitterrand touche du doigt le sens d’une vie d’homme : « La mort peut faire qu’un être devienne ce qu’il est appelé à devenir ; elle peut être au plein sens un accomplissement. »
Patrick Sourd
Adagio [Mitterrand, le secret et la mort] d’Olivier Py, jusqu’au 10 avril à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, Paris VIe
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